mardi 30 août 2016

Rio à l’heure des bilans


« Des Jeux merveilleux dans une ville merveilleuse » qui « laissent un héritage unique pour les générations futures » ainsi s’exprimait Thomas Bach le président du comité international olympique (CIO) le 21 août lors de la cérémonie de clôture au stade de Maracaña. La flamme olympique s’est éteinte à Rio, nous sommes à l’heure des bilans.

L’organisation des Jeux Olympiques pour la première fois dans un pays émergent en Amérique du sud tient du défi. En effet, le contexte de crise politique lié à la destitution de la présidente Dilma Rousseff et la crise socio-économique qui touche les populations plus défavorisées ont données de fortes craintes à l’opinion. La presse étrangère prompte à la critique aux relents exotiques accentue les peurs, brandissant les craintes sécuritaires liées au terrorisme, la dangerosité de la ville, l’épidémie ravageuse du Zika et des stades en construction. 

Les crises internes du CIO déclenchées lors des hésitations sur l’exclusion de sportifs russes compromis dans des affaires de dopage ont pesées sur les débuts des compétitions. Plus d’un million de touristes attendus selon les prévisions ont fui la destination Brésil. 10 500 athlètes représentant 204 nations se sont affrontés dans 28 disciplines ; 10 athlètes de réfugiés ont participé sous la bannière olympique.



La domination américaine, des résultats satisfaisants de la délégation française
91 records olympiques ont été battus lors de la 31ème olympiade. En se référant à la table des résultats codifiés par le CIO, les États-Unis ont dominé la compétition sans partage avec 121 médailles dont 46 en or. La Grande Bretagne (67 médailles dont 46 en or) et la Chine (70 médailles dont 26 en or) font partie du tiercé gagnant ; la France arrive à la 7ème place avec 42 médailles dont 10 en or. Ce résultat record jamais établi au cours d’une Olympiade d’après-guerre satisfait les institutions.

La force et les paradoxes des sports en outremer

La forte proportion des outremers dans la délégation olympique française avec 51 sportifs- soit 13% de l’équipe de France olympique dont 21 Guadeloupéens - dont 17 médaillées renforcent l’ampleur du phénomène social déjà mesuré sur le rôle social des sports pour les populations d’outremer. Teddy Riner, le porte-drapeau de la délégation olympique, leader incontesté du judo mondial et du sport français incarne cette réussite.

Jamais autant de disciplines n’ont été représentées (Judo, handball, tennis, basket-ball, athlétisme, escrime, cyclisme, natation) à cela s’ajoute une forte proportion des coaches dans l’encadrement (Dinart (handball), Nelhomme (basket-ball), Laura Flessel, Naejus (escrime) Patricia Girard (athlétisme). 


Nos régions vivent un paradoxe dont on refuse de mesurer les paramètres. La production d’une élite sportive diversifiée formée, initiée dans les territoires perfectionnée dans l’hexagone se fait au détriment des territoires. Les équipements sportifs laissés en jachères, des friches, les formations obsolètes et la désorganisation des structures sportives, autant d’images d’une crise que vivent les sports. 


Ce constat qui date, doit interroger les instances locales sur la cohérence et l’avenir des politiques sportives menées dans les Régions ultra périphériques. La frilosité des instances nationales à donner aux sports un réel élan se répète et se confirme.

Les résultats de Rio s’ils semblent encourageants ne doivent pas nous faire oublier ceux d’Atlanta (1996) qui restent à mon avis une référence. 

Les 4 médailles d’or de Flessel (escrime) et Marie-José Pérec (athlétisme) le bronze de Patricia Girard (athlétisme) n’ont pas été atteints ni même dépassé. 

Les résultats de 1996 n’ont pas été pris en réelle considération dans leurs significations pour impulser dans nos régions de réelles politiques sportives ambitieuses. On a assisté passivement à un délitement de la situation sans réaction de nos instances en charge du sport. Il s’agit de se contenter de faire partir les élites locales vers des structures nationales à perte, souvent sans retours sur investissement pour les clubs formateurs. 

L’athlétisme est révélateur. Belocian, le talentueux hurdler guadeloupéen à quelque peu craqué sous la pression voulant trop bien faire. Il fait un faux départ éliminatoire. N’est-il pas l’arbre qui cache la forêt ? 

Marie José Pérec n’a pas été remplacée ! Les filles qui jadis étaient performantes n’arrivent même pas au stade des finales. Le jour où certaines instances pourront comprendre que l’athlétisme français féminin marchait quand les Régions outremer étaient fortes et étaient entraînées, non pas contre nature, mais sur leurs propres valeurs et surtout dans leur proximité, est loin d’arriver. 

Les stages de préparation en outremer ont disparus au moment où une élite choyée pose ses camps de préparation en Afrique du sud. 

Que dire du jeune champion sud-africain Wayde Van Niekerk qui vient de remporter le titre olympique du 400m en battant le mythique record Michael Jonhson en 43’’03 qui peaufine sa préparation à Kingston en Jamaïque avec Usain Bolt ? La Jamaïque a montré à travers ses résultats qu’elle reste le barycentre du sprint mondial et la Caraïbe est bien présente dans le renouvellement de Rio.



Bolt, Phelps, Riner et le renouvellement des générations

Ces jeux ont glorifié de grandes stars internationales. Certaines terminent une carrière qui les assoit dans le hall of Fame de l’olympisme. L’inoxydable nageur américain Michael Phelps conclut une prodigieuse épopée entamée depuis 2004 à Athènes. Les 6 médailles qu’il remporte à Rio dont 5 en or lui offre le meilleur palmarès de tous les temps avec 23 titres olympiques. 

Le Jamaïcain Usain Bolt est nul doute l’homme de Rio 2016 qui a attiré du public acquis à sa cause pour célébrer son départ de l’arène olympique dans le stadio Olympico Engenho Dentro resté souvent vide. Ses trois titres remportés en athlétisme (100m 200m et 4x100m) consacrent une longue carrière soit 9 médailles d’or olympiques ; une invincibilité acquise durant 3 olympiades le sprinter le plus titré de tous les temps. 

Teddy Riner au judo en dominant outrageusement la catégorie reine des plus de 100 kg s’assoit aussi dans le temple des Dieux de l’Olympe. Ces trois légendes n’ont pas pu empêcher l’émergence de nouvelles icônes. 

Rio marque un grand renouvellement dans l’espace des sports avec l’apport de nouvelles générations : la nageuse américaine Katie Ledecky, la nageuses hongroise Katina Hossu le sud-africain Wayde van Niekerk (record du monde du 400m) la Bahamienne Shaune Miller illustrent ce renouveau performant.

Les performances de certains athlètes mettent à mal l’expression de poncifs bien présents dans les consciences. Les succès des afro-américaines de Simone Manuel (natation) et surtout ceux de Simone Biles (gymnastique), de Metella (natation), la réussite des coureurs US dans les courses de longue distance bousculent les théorisations racistes basées sur le déterminisme génétique affirmant des prédispositions « naturelles » aux succès dans certaines activités.



« Parabéns Brasil » (félicitation Brésil)

Le pays organisateur a vécu plusieurs phases durant cette période olympique. Une grande partie de la population est restée hors-Jeux. Les populations défavorisées des quartiers populaires, des favelas jugées menaçantes avaient d’autres préoccupations légitimes à régler, ne pouvant pas accéder aux stades aux places trop chères ; beaucoup sont venus manifester dans les stades leur hostilité au pouvoir. 

Rio est resté avec ses problèmes de sécurité des quartiers sensibles, ses embouteillages, les pollutions de sa baie. Cependant la cérémonie d’ouverture, les résultats sportifs ont redonnés de la fierté à toute une nation meurtrie, jugée incapable par des presses aux commentaires souvent limites. Peu à peu la population s’est prise aux Jeux. 

L’or inattendu de Rafaela Silva au judo, la fille noire des favelas ; les succès des sports collectifs au Beach Volley et surtout au football ont déclenchés d’immenses mouvements de liesse et de fierté populaire d’une grande portée symboliques. Le but de Neymar contre l’Allemagne a eu pour effet libérer et laver l’affront du mondial de football. Le record olympique du perchiste Thiago Braz da Sylva (6,03m) dans une ambiance festive et chauvine de bonne guerre a eu pour conséquence des déclarations fâcheuses inadmissibles de la part du perchiste français Lavillenie se mettant à dos le public brésilien. Les jeux ont été marqués par de nombreux comportements peu gratifiants de sportifs. 

Des interrogations se posent sur le fair-play, la probité et la mesure des enjeux pris sur le jeu. Les dérives des joueurs de tennis par manque de respect de vie commune, les critiques après défaites des champions de natation, des règlements de compte en tout genre fissurent l’image des valeurs sportives et d’une équipe de France solidaire ; à cela s’ajoutent les mensonges de l’équipe de natation américaine après une beuverie sur une soit disant agression brésilienne, et l’arrestation de L’Irlandais Patrick Hickey président du comité olympique européen compromis dans une vaste organisation de vente illégale de billets.


Rio s’est fortement endetté. Dépenses inutiles, dépenses nécessaires ? C’est sans doute le prix à payer pour les pays émergents s’ils désirent organiser une compétition internationale - autrement dit avoir une visibilité internationale - ou disparaître de l’échiquier mondial tant les exigences des institutions internationales contraignent fortement les organisateurs. L’avenir du sport international dans cette surenchère à tendance à favoriser les pays du nord, les plus avancés technologiquement et dotés d’une forte économie. 

Les deux protagonistes en campagne Paris et Los Angeles répondent à ce jeu des conditions pour l’attribution des Jeux en 2024.



Rio restera pour moi des Jeux festifs symboles des pays émergents. Jamais je n’ai vu autant de gens danser de manière spontanée sur les lieux de spectacles olympiques. Rio a offert des images et des couleurs de sites majestueux liés à ville aux noms évocateurs de Copacabana, Ipanema, du Pain de Sucre. Rio restera une ville accueillante, si les codes sociaux ne peuvent se comparer avec d’autres nations, j’ai ressenti de grandes douceurs dans le style de vie, les rapports humains, les gestes et les échanges du quotidien. J’ai pu mesurer à quel point les sports était intégrés dans la culture, les habitus, les terrains de sport à perte de vue sur les plages toujours remplies à des heures tardives. Ce n’est pas que le football qui est une religion au Brésil. Rio est aussi le rythme des danses du Carnaval, ceux qui résonnent dans les favelas le week-end et des douces musiques brésiliennes. Parabéns Brasil ! Rendez-vous à Tokyo en 2020 !

Harry P. Mephon, 
Sociologue


Auteur de : Corps et Société en Guadeloupe, sociologie des pratiques de compétitions. Presses Universitaires de Rennes (2007). Anthologie du sport guadeloupéen H.C. Editions (2011)

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