vendredi 10 février 2012

La Syrie et les germes d'une guerre mondiale



Le veto sino-russe à la résolution de l'ONU ouvrant la voie à une intervention en Syrie a provoqué une réaction furieuse des États-Unis et de leurs alliés impérialistes.

Susan Rice, ambassadrice américaine auprès des Nations Unies et représentante influente des va-t-en-guerre des « droits de l'homme » qui exigent l'acceptation universelle des manigances de l'impérialisme américain, a qualifié la décision des émissaires du veto de « honteuse et écourante » et dit d'un ton menaçant que c'était « une décision qu'ils [la Russie et la Chine] viendront à regretter ».

La secrétaire d'État, Hillary Clinton, a qualifié le vote de « farce » qui a « castré » l'ONU.

La France, ne voulant pas être en reste dans la poursuite d'objectifs impérialistes dans un pays sur lequel elle a exercé une tutelle coloniale pendant un quart de siècle, a réagi avec la même attitude belligérante. Le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, a déclaré que le double veto était une « sorte de tache morale » sur les Nations unies et le ministre de la Défense, Gérard Longuet, a décrit la Russie et la Chine comme des pays qui « méritent des coups de pied au cul. »

On n'avait entendu aucune inquiétude de ce genre sur une « neutralisation » de l'ONU ou des « taches morales » lorsque la délégation américaine avait à maintes reprises émis des vetos aux résolutions dénonçant l'agression par son principal allié dans la région, Israël, au moment où celui-ci menait des guerres contre des populations sans défense au Liban, à Gaza et en Cisjordanie, coûtant la vie à des milliers de civils.

La moralité et les droits de l'homme n'ont rien à voir avec cela. L'indignation émanant de Washington et des capitales de l'Europe de l'Ouest porte sur le fait que Moscou et Beijing refusent de s'aligner derrière la stratégie de l'impérialisme américain visant à réorganiser le monde selon ses propres intérêts et ceux de l'élite financière.

Les soi-disant « principes » sous-jacents à l'initiative américaine - à savoir que les principales puissances impérialistes ont le droit d'intervenir et de renverser les gouvernements des anciens pays coloniaux qu'ils jugent coupables de violer les droits de l'homme - sont en contradiction totale avec le droit international. Comme pour tout le reste, l'aristocratie financière américaine établit les règles du jeu au fur et à mesure qu'elle avance.

Le raisonnement des gouvernements russe et chinois est assez clair. Ils voient les États-Unis se présenter une fois de plus en champions de la démocratie et des droits de l'homme alors qu'ils mènent une campagne d'agression incessante visant à transformer l'Iran et la Syrie, tous deux des partenaires commerciaux et stratégiques clé de Moscou et de Beijing, en États coloniaux fantoches de l'impérialisme américain.

L'enjeu pour la Russie est la perte de l'unique allié qui lui reste dans le monde arabe, ainsi que des contrats d'armement s'élevant à plusieurs milliards de dollars, l'accès de sa marine à son unique port sur la Méditerranée et des dizaines d'autres milliards de dollars en investissement. La Chine a des intérêts similaires, bien que moindres, en Syrie. Les deux pays reconnaissent toutefois que la Syrie a été ciblée pour un changement de régime dans le cadre d'une campagne plus large visant à renverser le gouvernement d'Iran, fournisseur clé d'énergie de la Chine, et à placer sous hégémonie américaine la totalité de la région riche en pétrole et stratégiquement cruciale qui s'étend du golfe Persique à la mer Caspienne.

Le modus operandi de la poursuite de ces objectifs impérialistes n'est désormais que par trop familier. Un régime ciblé est dénoncé à l'aide d'allégations hypocrites de violation des droits de l'homme, puis les États-Unis et leurs alliés promeuvent la guerre civile dans le pays pour ensuite utiliser l'inévitable répression comme prétexte à une intervention.

Ce fut la recette utilisée avec succès en Libye, soi-disant pour protéger la population civile, après l'abstention de la Russie et de la Chine qui n'avaient pas exercé leur droit de veto à une résolution autorisant la mise en place d'une « zone d'exclusion aérienne ». Cette résolution avait ensuite servi de caution pseudo-juridique à une guerre d'agression coloniale des États-Unis et de l'OTAN, impliquant le bombardement incessant de la Libye. Des forces spéciales et des agents secrets avaient mené les prétendus rebelles au renversement et finalement à l'assassinat de Mouammar Kadhafi.

Les sentiments de défense des « droits de l'homme » exprimés par Obama, Clinton, Rice et les autres ont la même sincérité que la réaction d'indignation d'Adolf Hitler face aux prétendus crimes commis par la Tchécoslovaquie à l'égard des Allemands des Sudètes.

Et pourtant, ces sentiments assument une fonction politique cruciale. La croisade en faveur des droits de l'homme est le moyen par lequel toute une couche sociale de membres jadis de gauche et libéraux des sections les plus aisées de la classe moyenne, une base clé du Parti démocrate, a abandonné l'attitude anti-guerre qu'elle avait adoptée sous le gouvernement Bush et s'est largement intégrée dans la course à la guerre impérialiste sous Obama.

L'animatrice du magazine d'information de la chaîne MSNBC, Rachel Maddow, est caractéristique de cette couche. On l'a vue mardi matin dans l'émission de télévision « Today » diffusée sur NBC où elle a déclaré que « le monde entier » s'est rangé contre l'Iran et que « tout le monde s'attend à ce qu'Israël prenne l'initiative » de l'attaque contre le programme nucléaire du pays.

Le « monde entier » est, pour Maddow et ses pairs, représenté par les gouvernements capitalistes des États-Unis et de l'Europe occidentale et exclut sans doute la Russie, la Chine et l'Inde, qui englobent près de la moitié de la population de la planète, sans mentionner les centaines de millions de travailleurs de par le monde qui sont opposés à une nouvelle guerre encore plus meurtrière au Moyen-Orient.

De plus en plus, tant le langage que la pratique de la politique internationale, employés par les États-Unis et leurs alliés, reprennent les méthodes qui ont caractérisé les périodes précédant 1914 et 1939. Dans la situation d'une crise capitaliste mondiale qui dure, l'humanité une fois de plus est confrontée à la menace d'une guerre mondiale. La seule force sociale capable de répondre à cette menace est la classe ouvrière internationale, mobilisée sur la base d'un programme socialiste pour mettre un terme aux causes de la guerre, à savoir le système capitaliste.

Bill Van Auken
(Article original paru le 8 février 2012)

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