vendredi 13 janvier 2012

Haïti-Séisme-Michaelle Jean : Faut-il céder au fatalisme ?


Deux ans déjà. Nos morts ne nous quittent pas. Tous ces êtres chers qui ont péri sous les décombres le 12 janvier 2010 ou qui ont succombé plus tard à leurs blessures, nous parlent. Ils nous demandent à grands cris de faire autrement et mieux.

Ce n’est pas le séisme qui les a tués, mais une incurie générale voire assassine. C’est l’absence de normes et de lois régissant la construction, faute d’un État prévoyant décidé à user de toute son autorité pour les faire respecter, qui a fait tout près de 300 mille morts en Haïti. C’est l’irresponsable laisser-faire, le désordre généralisé érigé en système.

Cessons de parler d’une catastrophe naturelle, assumons le fait qu’il s’agit bel et bien d’une catastrophe induite par un laxisme déplorable et l’erreur humaine. Le manque de moyens ne suffit pas à tout expliquer, ni tout justifier.

Faire autrement et mieux, pour honorer nos morts et surtout respecter les vivants, suppose que l’on s’attaque résolument, intelligemment aux facteurs de vulnérabilité persistants en Haïti.

Les plaques tectoniques continueront de bouger, cyclones et pluies torrentielles reviendront chaque saison avec force. Faut-il céder au fatalisme ? Non. Anticipons !

Quelques semaines après le drame d’Haïti, un séisme 500 fois plus violent a frappé le Chili, provoquant une alerte maximale au raz-de-marée, le bilan dit tout : 486 morts.

L’exemple du Pérou, autre pays en zone à haut risque sismique, est tout aussi éloquent : des solutions existent, réalisables, des règles de génie élémentaires, pas plus coûteuses, des lois, des politiques nationales sont appliquées, la population est mobilisée, sensibilisée, avertie et responsabilisée, les arnaqueurs de la construction sont poursuivis en justice.

La pauvreté non plus n’explique pas tout. Le chapelet des misères qui accablent la population haïtienne est dit et redit, il nous saute aux yeux, il nous heurte. Mais le mal le plus affligeant est le manque de coordination des efforts pour les combattre. La pagaille des projets qui pullulent dans le plus grand désordre sur le terrain, au nom de la bonne conscience et d’une solidarité mal ordonnée est devenue un véritable fonds de commerce. Haïti, a été transformée en un vaste laboratoire de tous les essais et erreurs, de tant de stratégies lacunaires qui depuis des décennies ne produisent rien de véritablement durable. L’assistanat est désormais une affaire, une aubaine pour plusieurs et elle génère des occasions de détournement et de corruption. La dépendance totale à l’aide internationale intériorisée jusqu’aux structures même de l’État est corrosive.

Et que dire des mentalités, sinon que là aussi un travail profond est à entreprendre, pour l’amour d’Haïti. Tout ce chacun pour soi et pour son clan, cet égoïsme sans foi ni loi n’ont de cesse de casser quotidiennement l’avenir de ce pays riche pourtant de tant de possibilités.

Pays de jeunesse. Pays d’une histoire si singulière. Pays vibrant de culture. Pays d’idées et de paroles lumineuses. Pays d’une terre maltraitée par l’érosion, là encore de main humaine, mais qui continue de donner avec abondance des fruits d’une exceptionnelle qualité, grâce aux gestes savants de petits cultivateurs sans moyens. Pays d’une beauté émouvante à découvrir. Pays aux côtes splendides, dans une mer poissonneuse, mais dont la ressource n’est ni exploitée, ni protégée. Pays d’une population accueillante gardienne d’une mémoire et d’un patrimoine dont l’Humanité ne peut se passer.

Où sont les raisons d’espérer ? Dans un gouvernement qui agit sous la pression d’une obligation de résultats et qui en fait son credo, armé d’un plan de développement authentique, durable, équitable et décentralisé. L’espoir est aussi dans la résolution unanime de tout faire pour sortir de l’assistanat, pour attirer et favoriser des investissements dans plusieurs secteurs, en misant sur le dynamisme des collectivités locales, sur les capacités de faire, de produire, de créer, d’innover, de se réinventer de la société civile haïtienne incluant celles d’un secteur privé qui assumerait pleinement sa responsabilité sociale.

Je crois à tous les efforts conjugués visant la mise en place de conditions favorables à la génération d’emplois, la multiplication de petites et moyennes entreprises porteuses d’opportunités nouvelles vers de meilleures conditions de vie pour l’ensemble des Haïtiennes et des Haïtiens.

Que le président Michel Joseph Martelly, comme son prédécesseur René Garcia Préval, fasse de l’éducation un cheval de bataille et qu’il ait eu la brillante idée d’un dispositif qui permet de financer l’accès gratuit à l’école pour tous les enfants du pays est un signal encourageant. Que la dite communauté internationale, les amis d’Haïti, les pays donateurs participent de l’urgence qu’Haïti soit dotée d’infrastructures robustes et de qualité dans des secteurs aussi névralgiques pour son autonomisation économique que des installations portuaires et aéroportuaires de haut niveau, des routes permettant de connecter régions et départements pour un accès aux services essentiels de base, et une plus grande circulation des personnes, des biens et des produits.

Faire autrement et mieux, en investissant dans la formation professionnelle, l’éducation de qualité de l’élémentaire jusqu’aux études supérieures, en appuyant le plan de reconstruction territoriale, institutionnelle, économique et sociale minutieusement élaboré par le gouvernement haïtien qui a un urgent besoin d’être recapitalisé pour réaliser ses politiques et atteindre les objectifs qu’il s’est fixés.

Il est insensé que de tous les engagements pris en faveur de la reconstruction d’Haïti, seulement 1% des fonds aient été versés pour renflouer les caisses de l’État haïtien et seulement 1% aient été distribués aux ONG haïtiennes. Ce non-sens, cette flagrante contradiction exigent que l’on réajuste le tir. Les solutions pour Haïti doivent se nourrir d’une perspective haïtienne que nous avons le devoir de valider dans un esprit de réciprocité, de partenariat et d’accomplissement.

Déclaration Michaëlle Jean, Envoyée spéciale de l’UNESCO en Haiti, à l’occasion des commémorations du tremblement de terre du 12 janvier 2010

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