jeudi 12 janvier 2012

Haïti, deux ans après : la lettre de Lyonel Trouillot


Depuis deux ans, l'écrivain Lyonel Trouillot nous donne régulièrement des nouvelles de son pays : Haïti parmi les vivants, recueil que Le Point a coédité avec son éditeur en France, Actes Sud, n'a pas pour titre une vaine ou fugace formule ! Celui que le chroniqueur donne à la lettre que vous allez lire peut surprendre... Le romancier de La belle amour humaine garde sous un pessimisme rageur sa confiance en l'humain. Des preuves ? Au centre culturel Anne-Marie Morisset, construit à l'initiative de sa famille à Port-au-Prince (sur un terrain appartenant à sa mère), les jeunes viennent suivre des cours, des conférences, ateliers d'écriture et activités sportives. Et d'ici à la fin du mois, Lyonel Trouillot, codirecteur avec Dany Laferrière du festival Étonnants Voyageurs à Haïti, s'apprête à accueillir à Port-au-Prince le Prix Nobel de Littérature Jean-Marie Gustave Le Clézio pour une nouvelle édition du 1er au 4 février prochain.

Deux ans de réussite et des échecs mineurs 

Deux ans après le séisme du 12 janvier 2010, jour pour jour, les villes détruites ont été d'abord déblayées à 100 %. Puis, visibles dans leur beauté à venir, les grands chantiers de la reconstruction ont été entamés et offrent des emplois à la population.
Les cinq cent mille personnes qui vivaient encore sous les tentes ont trouvé des logements modestes, mais décents.
L'élection d'un président peu bavard, mais très efficace a mis fin au pilotage automatique des politiques publiques par la communauté internationale (États, institutions internationales et ONG). La preuve en est que, lorsque le président a décidé de recréer une force armée, la communauté internationale ne s'en est pas mêlée, et il a pu avancer sans contraintes ni menaces dans l'exécution de son programme.
La mission des Nations unies a reconnu avoir introduit le choléra en Haïti et s'est excusée auprès de la population. Ses membres ne commettent pas d'exactions (scandales sexuels et actes de violence) et la mission s'est montrée d'une efficacité si impressionnante que les Haïtiens souhaitent qu'elle s'installe de façon permanente et ne voient pas la nécessité de la création d'une force armée haïtienne.
Les ONG ne consomment pas une grande partie de l'aide promise par les uns et les autres (aide dont la totalité a bien été versée) et font un travail remarquable. On en mesure les effets moins aux visages rayonnants de leurs cadres qui ne souhaitent pas partir malgré les difficiles conditions de travail et d'existence (salaire triplement inférieur à celui qu'ils gagnaient dans leur pays d'origine ; absence de voiture de service ; conditions de logement détestables dans les mauvais quartiers ; manque de vacances et de loisirs) qu'à la façon dont l'ON-gisation du pays a permis de transformer en profondeur les structures sociales et contribué au renforcement des institutions étatiques nationales.
Les inacceptables écarts sociaux qui constituaient la plaie structurelle de la société haïtienne se sont d'ailleurs réduits et non pas agrandis, et les vieilles oligarchies qui possédaient à elles seules le gros des richesses du pays ne constituent plus une droite sans complexe, aveugle au malheur des autres et à l'injustice sociale, mais pratiquent une solidarité sociale en faveur des classes moyennes qui seraient sans cela menacées de précarisation et de prolétarisation, et surtout en faveur de la population rurale et des masses urbaines qui ont droit, enfin, à des biens et services pouvant faire d'eux des citoyens.
Haïti va bien. (Sauf si l'on considère les seuls mauvais côtés de la situation : la montée de discours revendicatifs inquiétants ; la constitution en cours de nouvelles formations politiques trop portées sur la transformation de la société dans le sens des intérêts du plus grand nombre ; quelques actions individuelles ou associatives, relativement modestes, mais efficaces, parce que nées d'une véritable analyse de la situation et des besoins ; la renaissance d'une vie culturelle liant le rêve à la pensée, et la culture au social.)
Il n'y a donc pas lieu de s'alarmer, mais, au contraire, deux ans, jour pour jour, après le séisme du 12 janvier 2010, il convient de féliciter tout le monde pour le travail accompli en faveur du peuple haïtien...
Sauf que tout ce que vous venez de lire n'est qu'une longue et douloureuse antiphrase. Ma lettre, en réalité, s'intitule : Deux ans d'échecs majeurs et quelques réussites...
LYONEL TROUILLOT

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