dimanche 28 août 2011

La diva du Pérou (Susana Baca) sur la scène politique


Inattendue, la nomination de Susana Baca à la tête du ministère de la culture a pris le Pérou par surprise, fin juillet. Bien que dépourvue de toute expérience politique, la chanteuse afro-péruvienne a accepté la proposition d'Ollanta Humala, le nouveau président de gauche péruvien, dont le discours basé sur "l'inclusion sociale" a soulevé une vague inhabituelle d'espoir dans le pays. "Cette nomination arrive à un moment de ma vie où je sens qu'il est de mon devoir de l'assumer", affirme l'artiste, impatiente de "servir (son> pays".


Jusque-là, Susana Baca de la Colina était connue pour sa voix suave et pénétrante, accompagnée des sons envoûtants de la guitare et du cajon , le fameux instrument né durant l'esclavage des populations noires sur les côtes du Pérou. Ambassadrice de la musique afro-péruvienne, elle a vu son succès international couronné par un Grammy en 2002. Programmée sur les scènes du monde entier, la "diva péruvienne" avait, à 67 ans, le reste de sa carrière assuré. Pourtant, elle ne doute pas quand Ollanta Humala lui propose de prendre en charge le ministère de la culture. "Je serai une ministre-chanteuse", lance-t-elle à la presse qui la poursuit. La nouvelle rebondit : tous les analystes ont en tête l'exemple du célèbre chanteur-compositeur Gilberto Gil qui, en 2003, avait accepté l'offre du président brésilien Lula de siéger au gouvernement pendant cinq ans, avec succès.
La comparaison a son importance. Elle permet une nouvelle fois à Ollanta Humala de se rapprocher, dans l'imaginaire collectif, du "grand Lula", qui, un an après la fin de son mandat, bénéficie sur le continent d'une aura à toute épreuve. Exit Hugo Chavez, sa révolution bolivarienne et l'ombre que portait le président vénézuélien (peu aimé au Pérou) sur le nationaliste Humala depuis l'élection perdue de 2006. La nomination de Susana Baca porte l'estocade finale, après la désignation de plusieurs ministres clairement centristes. Pour "Ollanta", l'opération médiatique est réussie, les Péruviens semblent convaincus que son gouvernement s'inscrira dans la lignée de gauche moderne et modérée du Brésil. Une perspective calmant les entrepreneurs et les secteurs les plus conservateurs de la société, peu rassurés par l'arrivée du leader nationaliste au pouvoir.
Cependant, le caractère symbolique de la nomination de Susana Baca à la tête du ministère de la culture va bien au-delà du seul exemple brésilien. "Je crois que je suis la première ministre noire de l'histoire du Pérou", a tout de suite souligné la chanteuse avec fierté, estimant que "les Afro-Péruviens devraient participerdavantage à la vie politique".
En cette année 2011 proclamée par les Nations unies comme l'Année internationale des personnes d'ascendance africaine, Susana Baca a reçu l'appui officiel de l'ensemble de la communauté afro-péruvienne. Un honneur pour la chanteuse, qui a toujours revendiqué ses racines et lutté pour que la culture de ce peuple méconnu soit conservée et mise en valeur. Les premiers esclaves africains arrivèrent au Pérou avec les colons espagnols, au début du XVIe siècle. L'esclavage fut officiellement aboli dans le pays en 1854, mais les Afro-Péruviens ont été laissés en marge de la société. La majorité d'entre eux vit toujours sur la côte pacifique, au sud de la capitale, Lima, où s'étendaient auparavant les grandes haciendas. Combien y a-t-il de Péruviens d'ascendance africaine ? Aucun chiffre récent n'est disponible mais la population afro-péruvienne représenterait entre 7 % et 10 % de la population totale du pays (29 millions d'habitants). L'ONU estime que 200 millions de personnes s'identifiant comme étant d'ascendance africaine vivent sur le continent américain.
"Aujourd'hui encore, il est difficile d'être noir au Pérou", dénonce Susana Baca, insistant sur la discrimination qui existe dans de nombreux endroits de la capitale à l'égard des Afro-Péruviens mais aussi des personnes aux traits andins ou amazoniens. "Ce comportement raciste est une habitude que l'on doit éradiquer, car dans un pays démocratique, on ne peut accepter qu'il existe des citoyens de seconde catégorie", tempête l'artiste, consciente de tout ce qu'elle représente. "Je crois que les gens du gouvernement ont vu en moi à la fois l'image de l'exclusion et de l'inclusion qui existe dans mon pays", analyse-t-elle. "Nous, les Afro-Péruviens, avons toujours été victimes de la ségrégation et invisibles (aux yeux de l'Etat>, constate-t-elle. Me nommer permet de mettre en avant l'expérience d'une femme qui a réussi des choses que l'on pensait impossibles pour une Afro-Péruvienne."
Evidemment, les critiques n'ont pas tardé à pleuvoir sur la nouvelle ministre. Sur les réseaux sociaux, beaucoup se demandent dans quelle mesure ses talents de chanteuse lui donnent les compétences pour la gestion publique. D'autres estiment qu'elle est qualifiée pour s'occuper des questions artistiques mais rappellent que le ministère de la culture au Pérou est aussi doté d'une vice-présidence dédiée à l'interculturalité, essentielle à l'heure où les peuples indigènes réclament le respect de leurs droits. Susana Baca saura-t-elle résister aux pressions politiques et sebattre pour que le ministère récemment constitué (onze mois d'existence) ait un véritable budget ? La tâche se révèle compliquée, mais la "ministre chanteuse"maintient qu'elle relèvera le défi et fera du ministère une "institution de poids"."Nous lutterons contre les inégalités culturelles", promet Susana Baca, qui espère des Péruviens qu'ils voient enfin la richesse que représente l'immense diversité culturelle de leur pays.

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