vendredi 24 juin 2011

Marny ou la résistance martiniquaise

Pierre-Just Marny


Pierre-Just Marny relève, aux yeux de l'histoire et de l'anthropologie de ce pays, de la pratique culturelle et politique du marronnage. Ce fait est attesté par trois séries d'éléments qui le désignent en fait comme le dernier des marrons historiques et le premier des bad boys sociologiques.

1. En son temps, Marny a été identifié comme une incarnation du Marron légendaire, victime de la perte de sens de la société martiniquaise, par au moins deux auteurs majeurs qui ont romancé autour de son personnage et du retentissement dee ses « exploits » . Edouard Glissant en fait l'archétype du dernier avatar du marronnage dans le Discours Antillais (1981, pp 159-160), argument qui sera ensuite développé dans son roman Mahagony (1987). Marny (Mani) y succède à Beauregard et, plus lointainement, à Longoué l'Africain, le marron primordial du Quatrième siècle. Mais déjà Salvat Etchart, le blanc marron palefrenier dans le Sud après avoir inventé la radio ici-dans, en avait fait un des personnages de son roman envoûtant et déchiré, L'homme empêché (Mercure de France, 1977) qui suivit Le monde tel qu'il est, chronique incendiaire du pays Martinique (et prix Renaudot 1964).

2. La réaction populaire lors de l'arrestation de Marny, à Sainte Thérèse, fut celle qu'on réserve à l'expression d'une conscience à la fois historique et immédiate. Les années 1964/1965 marquent « physiquement » le basculement de la Martinique dans la modernité assimilée : voyage du Général de Gaulle, lancement du quotidien France-Antilles, premières émissions télévisées, ouverture de l'autoroute et du nouvel aéroport, premiers HLM... Il n'est jusqu'au passage du cyclone Edith qui lance le pays dans une frénésie de béton et de fibrociment. Les lois sociales commencent à faire sentir leurs effets, ainsi que le plan Nemo du Bumidom. Alors que les dernières usines traînent avant fermeture, le vieux pays rural en voie d'urbanisation ressent l'angoisse du changement et des nouvelles pwofitasyon qui se dessinent à travers la monaitarisation. L'aspect maléfique des actes de Marny est absous par la condamnation populaire des nouveaux égoïsmes qui émergent, avec l'embourgeoisement de ceux qui hier partageaient le maigre coui...3. L'attitude de Marny ne laissa aucun doute à la population quant à son caractère foncièrement rebelle. L'affaire Marny fut le premier gros événement traité par le tout jeune quotidien France-Antilles ; le choc des photos n'en eu que plus d'impact. Marny est celui qui, torse nu et cheveux hirsutes, toisa ses juges blancs en se proclamant fièrement « La panthère noire ».

Il faut savoir que le Black Panthers Party d'Eldridge Cleaver et de Stockely Carmichael ne fut créé qu'un an plus tard, en Californie ; et que Marny ne pouvait avoir mûri cette référence identitaire que du fond de sa solitude pourchassée. C'est cette arrogante identité que le vieil appareil de répression colonial n'aura de cesse de vouloir briser depuis près d'un demi-siècle. Faire plier le rebelle. Qui résiste sans cesse, au prix de la torture physique et mentale...

Pas plus que le diamantinois Médart Aribo, dont -en spécialiste-Richard Price décrit l'authentique marronnage (Le bagnard et le colonel), Marny n'est un saint. Les nègres marrons n'ont jamais été des saints. En tant que rebelle aux mains de l'appareil de repression colonial, Marny est l'exact mesure de la résistance du peuple martiniquais à l'injustice d'un Système de pwofitasyon. Un peuple peut-il rompre, comme un fromager terrassé ? Marny ne nous a pas plus laissé d'issue qu'il n'en a consenti au Système : seule notre humanité outragée peut aujourd'hui exiger (comme hier, à Sainte-Thérèse) que Justice véritable soit appliquée à cet homme. Seule notre conscience outragée peut exiger des plus hautes instances de l'Etat qu'elles se saisissent de leur pouvoir régalien de grâce pour mettre fin à cet acharnement inique. S'attaquer à la violence dans la société martiniquaise implique que nous soyons capables, collectivement, d'éradiquer toutes les scories héritées de la violence coloniale ; à commencer par les plus symboliques. Pierre-Just Marny est le symbole vivant, en souffrance, d'une Justice qui appelle et qui attend notre réponse.

KENJAH
Martinique 26.11.2010

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