lundi 20 juin 2011

Guadeloupe, l'école de la malbouffe


Mc Donald's Guadeloupe - photo E-Z


Alors que l'obésité atteint des proportions alarmantes dans l'île, la moitié des collèges et lycées du département accueillent des camionnettes-snacks à l'heure de la récré. Instructif.

Au collège de Pointe-Noire (Guadeloupe), la grande récré du matin sonne à 9 h 55. Aussitôt, les élèves dévalent les escaliers quatre à quatre pour se ruer vers... la roulotte d'un marchand de restauration rapide stationnée dans la cour! C'est à celui qui arrivera le premier pour s'approvisionner en sandwichs, pizzas, chips, boissons sucrées ou barres chocolatées. Une scène saisissante: alors que la file des clients s'étire sur une dizaine de mètres, une odeur de cuisson s'échappe de la camionnette et enveloppe la cour du collège. Puis les élèves réintègrent la classe tandis que le commerçant fait des maths appliquées en calculant son chiffre d'affaires.  


Un snack ambulant dans l'enceinte d'une école de la République: voilà qui aurait pu faire plancher les meilleurs experts de la surcharge pondérale réunis du 25 au 28 mai dernier à Istanbul (Turquie), à l'occasion du 18e Congrès européen sur l'obésité... A l'heure où la société française prend conscience des ravages du surpoids sur la santé, la vision de certaines cours de récréation guadeloupéennes paraît surréaliste. D'autant que la roulotte du collège de Pointe-Noire n'est pas unique en son genre. Le rectorat de la Guadeloupe le déplore mais l'admet: au moins la moitié des 68 établissements du second degré (collèges et lycées) accueillent depuis plusieurs années de tels garde-manger. Or leur présence contredit totalement les préconisations du ministère de l'Education nationale, qui recommande aux établissements "d'apprendre aux élèves les règles d'un bon comportement alimentaire" et "de leur faire connaître les effets de l'alimentation sur la santé", notamment "en veillant à la régularité des repas". C'est d'ailleurs en vertu de ce principe que, depuis 2005, les distributeurs automatiques de boissons et de produits alimentaires payants sont interdits.  
Dès lors, les camionnettes-snacks sont-elles illégales? Le cas n'est pas prévu par les circulaires du ministère de l'Education nationale, ni au chapitre "santé des élèves", ni à celui de "la restauration scolaire". "On nage en plein flou artistique", résume le Dr Josiane Clépier, coordinatrice du Réseau Grandir, spécialisé dans la prise en charge des enfants obèses. D'ailleurs, loin de combattre la présence de tels commerces, des chefs d'établissements guadeloupéens signent avec leurs propriétaires des conventions annuelles stipulant la liste des produits vendus, les tarifs (1,50 euro le sandwich) et les horaires d'ouverture (généralement le matin). 

Près de 1 Guadeloupéen sur 4 est considéré comme obèse: une proportion deux fois plus élevée qu'en métropole. 


Aux yeux des professionnels de santé, en Guadeloupe et en France métropolitaine, la situation est insensée. Avec la Martinique, la Guadeloupe est en effet le département français où le problème du surpoids et de l'obésité est le plus aigu. Les raisons? Un changement de mode de vie marqué par la "culture de la bagnole", la sédentarité et la présence écrasante des hypermarchés, vecteur de "malbouffe". Selon une étude récente, plus de 1 Guadeloupéen sur 2 (55 %) a un poids supérieur à la norme. Plus grave: près de 1 Guadeloupéen sur 4 (et 1 enfant sur 10) est considéré comme obèse. Une proportion deux fois plus élevée qu'en métropole. Résultat, les maladies cardio-vasculaires, les cas de diabète et certains cancers explosent. "Si nous ne changeons pas nos habitudes alimentaires, notre société ressemblera un jour aux Etats-Unis", s'alarme le Dr André Atallah, chef du service de cardiologie du centre hospitalier de Basse-Terre et coordinateur de l'étude. Mais le chemin sera long. Car l'acculturation est en marche. Lorsqu'on les invite à citer le nom d'un fruit, les enfants guadeloupéens répondent fréquemment "la pomme". Comme on sait, celle-ci ne pousse pas dans les bananeraies. 
Malgré la menace des kilos en trop, les parents d'élèves sont plutôt favorables au statu quo. Leur raisonnement -qui désespère les nutritionnistes- se résume ainsi: certains élèves se réveillant à 5 heures du matin afin de rejoindre, en car et le ventre vide, leur lycée, parfois situé loin de leur domicile, à l'autre bout de l'île, il est normal de leur vendre des en-cas au milieu de la matinée. "L'ennui, objecte le Pr Serge Hercberg, responsable du Programme national nutrition santé -qui recommande de manger cinq fruits et légumes par jour-, c'est qu'à cette heure-là il est déjà trop tard pour remplacer le petit déjeuner. Et qu'en outre les aliments proposés dans de tels endroits ne répondent pas aux besoins nutritionnels." Seule solution: renouer avec le petit déjeuner, fût-ce à 5 heures du matin. 






Améliorer la qualité des produits proposés

"Nous pourrions supprimer les voitures-boutiques, explique Odile Derussy, du rectorat de la Guadeloupe. Mais, en pratique, cela soulèverait un tollé auprès des parents, des élèves et, même, d'une partie du personnel." Pragmatique, le rectorat préfère mobiliser son énergie à améliorer la qualité des produits. "Ces dernières années, nous avons obtenu la suppression de la mayonnaise, des poulets grillés, des viennoiseries, des barres chocolatés, des chips et des sodas", se réjouit le médecin scolaire Michèle Guduff. En principe, seuls les sandwichs non cuits, l'eau, les fruits et les yaourts sont autorisés. En principe...  

Quoi qu'il en soit, les pouvoirs publics prennent peu à peu conscience des spécificités de l'Outre-mer. La troisième phase du Programme national nutrition santé, qui s'ouvrira cette année, prêtera une attention particulière aux départements ultramarins, assure le Pr Serge Hercberg. "Il faut faire attention aux symboles et délivrer des messages cohérents, martèle-t-il. On ne peut pas exiger des ados qu'ils cessent de grignoter et, en même temps, leur proposer une offre alimentaire pendant les interclasses. Posons au moins un principe: le système éducatif ne doit pas cautionner ce qui nuit à la santé des enfants." C'est en effet la moindre des choses. 




Axel Glydén


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