jeudi 23 juin 2011

Doutes autour de la guerre en Libye

Un rapport publié par un groupe d'experts indépendants estime que les Occidentaux sont trop indulgents avec le Conseil national de transition, dont certains membres seraient des extrémistes.

En Libye, la guerre dure. A tel point que l’Assemblée nationale devra débattre et voter le 12 juillet sur l’intervention française. La Constitution l’exige lorsqu’un conflit dure plus de 4 mois. Au-delà de la question du coût, terriblement difficile à évaluer, comme le raconte le Guardian, la situation sur le terrain ne semble pas vraiment évoluer.

Sur le front est, les rebelles sont toujours bloqués à Ajdabiya, comme lors des premiers jours de leur avancée. Misrata, après un petit mois d'accalmie, est à nouveau attaquée par les forces de Kadhafi. L’Otan, elle, bombarde régulièrement Tripoli et reconnaît même avoir commis deux bavures le week-end dernier – ses premières officielles – ce qui était inévitable. L’arrivée sur le terrain d’hélicoptères britanniques puis français n’a pas vraiment changé la donne. Un drone a même été abattu ce mardi.



(cliquez ici pour agrandir la carte)Et alors que la coalition semble à court d’idées, un rapport publié la semaine dernière par le Ciret, le Centre international de recherche et d’études sur le terrorisme, est venu remettre fortement en cause l’intervention (le consulter ici).

Grand écart

Ses auteurs, que l’AFP, reprise notamment par le Monde.fr,présente comme «un groupe d'experts français et étrangers des questions de défense et du monde arabe» estiment que les Occidentaux sont trop indulgents avec le Conseil national de transition alors que certains de ses membres sont des extrémistes. Selon eux, «la coalition militaire sous l’égide de l'OTAN soutient une rébellion comprenant des terroristes islamiques». Sont mis en cause notamment des combattants du GIGL, le Groupe islamique des combattants libyens, un mouvement lié à Al-Qaeda. «La région qui va de Benghazi à Tobrouk, en passant par Derna, représente l'une des plus grandes concentrations de terroristes du monde, avec un combattant envoyé en Irak pour 1000 à 1500 habitants», racontent-ils.

Les auteurs rappellent également que, depuis qu’à Benghazi les arsenaux ont été pillés, «les services de renseignement sont très inquiets sur le devenir des armes pillées par les insurgés dans les arsenaux libyens. En particulier des missiles sol-air portables de type SAM-7.».


Ce qui surprend dans ce rapport est son grand écart avec les analyses de l'Otan ou des médias sur le terrain. Au fil des pages, on a parfois l’impression que tout est fait pour décrédibiliser la rébellion et critiquer la région cyrénaïque. Pour le directeur du Centre Français de recherche sur le Renseignement, Eric Denécé, l’un des auteurs du rapport, cette impression est due «à la désinformation pratiquée par les médias sur place».

Un autre des auteurs, Yves Bonnet, ancien député et directeur de la DST a, sur RFI, reproché à des médias comme Al-Jazira d’avoir menti, en annonçant notamment que Kadhafi bombardait sa population à Tripoli. Il estime «qu’accuser un dirigeant politique de bombarder sa propre population c’est une accusation extrêmement grave, surtout quand la justification de l’intervention internationale c’est la protection des populations civiles.» Précisons toutefois que comme le racontait à l'époque l'envoyé spécial de Libération sur place, le régime lybien a bombardé sa population dans d'autres villes, notamment à Benghazi.

Eric Denécé explique «qu’ils ne sont pas du tout pour Kadhafi, qu’ils sont bien conscients que c’est un despote», mais qu’il faut avoir conscience de certaines réalités, notamment que «c’est une guerre du pétrole» et que «plusieurs acteurs internationaux, comme l’Arabie Saoudite et le Qatar, verraient d’un bon oeil l’instauration d’une monarchie pétrolière en Cyrénaique».

Théorie du complot

Une autre des auteurs, Saïda Benhabyles, ancienne ministre de la Solidarité algérienne, va plus loin. Au quotidien Le Temps d’Algérie, elle a déclaré qu’elle estimait que le conflit libyen était monté de toutes pièces. Selon elle, «les forces de l'Otan tuent les civils, les enfants, les femmes, des simples citoyens et tirent sur tout ce qui bouge. Nous avons vu des images horribles, même les hôpitaux n'ont pas échappé à cette alliance militaire».
Des propos à remettre dans le contexte algérien, pays dont le régime ne veut absolument pas connaître le sort des autocrates voisins. Sur RFI, Yves Bonnet a estimé ainsi que «l’Algérie ne tient pas du tout à ce que Kadhafi s’en aille».

Encore plus surprenant, alors qu’Eric Denécé explique qu’ils n’ont «eu aucun problème pour travailler des deux côtés», le journal algérien raconte que Saïda Benhabyles «a passé des nuits blanches par crainte d'être arrêtée par les services de renseignements israéliens ou européens».De plus, l'ancienne ministre, sombrant dans la théorie du complot, estime que Bernard-Henry Lévy est «le chef des insurgés» et «est au courant de tout et coordonne toutes les actions». Interrogé sur ces déclarations, Eric Denécé raconte au contraire que BHL «a été très correct avec lui» lorsqu'ils se sont rencontrés à Paris et que les propos de Saïda Benhabyles «ont dû être mal rapportés».


Certains de ses auteurs semblent donc avoir des intérêts divergents et quelques biais idéologiques. Mais le rapport reste intéressant dans le sens où il n’aurait peut-être pas été écrit si l’intervention militaire s’était parfaitement déroulée. De même, les médias ne l’auraient peut-être pas autant relayé sans poser la question de sa légitimité si de nombreux doutes sur le succès de la coalition internationale ne survenaient pas déjà.

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