jeudi 28 avril 2011

IL N'Y A PLUS DE NUMÉRO 6 À FRANCE TELECOM


Chronique hebdomadaire de Philippe Randa


Il y a certes plusieurs manières de se suicider, mais il n’y a que deux façon de présenter la chose : avec discrétion, comme si on voulait déranger le moins possible ceux que l’on abandonne… ou au contraire avec mise en scène pour devenir, post-mortem, le centre du monde. Ne serait-ce que pour quelques instants vis-à-vis du plus grand nombre et pour le reste de leur existence vis-à-vis de ses proches.

S’immoler par le feu pour en finir n’est pas courant et veut à l’évidence marquer les esprits.


Tout le monde reconnaît d’ailleurs la valeur hautement symbolique du geste de Rémi L., salarié de France Télécom-Orange, qui a choisi d’en finir ainsi au pied d’un immeuble de l’entreprise, à Mérignac (Gironde). Il n’entendait pas partir par la petite porte. À notre époque où règne l’informatisation à outrance, le commun des mortels se serait filmé pour espérer faire la Une du 20 heures ; lui a choisit de ne laisser qu’un tas de cendre que personne n’aura eu, espère-t-on, l’idée méprisable de diffuser. N’a été montré qu’un mur noirci par la fumée et les flammes, ce qui n’a pas manqué de frapper les esprits.


Le récent changement de direction à la tête de France Telecom n’aura donc pas arrêté l’hécatombe en son sein. Avec ce nouveau cas, le nombre de salariés de l’entreprise qui se sont donné la mort depuis 2008 est porté à soixante, selon les chiffres de l’Observatoire du stress de l’entreprise. À nouveau et comme pour toutes les précédentes tragiques disparitions, les commentaires vont bon train, pointant les managements inhumains : mobilité dans les postes, réduction des effectifs, politique du résultats, objectifs inatteignables, pression quotidienne, etc.


N’ayant pas de “culture d’entreprise”, je ne m’aventurerais pas à juger ces commentaires, mais même s’ils s’avèrent réels, expliquent-ils un tel geste de la part d’un père de famille en bonne santé physique dont la perte de l’emploi n’était pas à l’ordre du jour ?


D’autres motifs ne l’ont-ils pas poussé à cette “dernière extrémité” comme ont dit pudiquement quand on n’ose pas utiliser de mot plus crû ? Nul doute qu’en agissant comme il l’a fait, ce qui nécessitait tout de même quelque indéniable courage physique, Rémi L. a frappé les esprits bien plus sûrement encore que s’il s’était défenestré du haut d’un immeuble, jeté sous un train, tiré une balle dans la tête ou s’était empoisonné, soit diverses manières plus habituelles d’en finir avec un Monde jugé trop cruel. Tellement habituelles qu’on finit d’ailleurs par ne plus y attacher trop d’importance.


Ce choix lui a permis de se distinguer dans la longue liste de ceux qui l’ont ainsi précédé dans le même acte au sein de son entreprise depuis plusieurs années maintenant.


Delphine Ernotte, directrice exécutive du groupe, accourue pour une “visite rapide” à l’endroit où travaillait l’employé, a martelé qu’il y a entre autres une “reprise des recrutements” pour preuve “que les choses ont déjà changé” sous la nouvelle direction.


Mais n’est-ce pas là, au contraire, amplifier le mal qui rongerait en réalité France Telecom qui compte déjà 100 000 salariés ?
Dans une entreprise de dizaine ou centaines de milliers d’employés, peut-on être autre chose qu’un numéro, celui de son contrat de travail ?


Certains s’en satisfont. D’autres pas.


Et si Rémi L. ne voulait tout simplement plus être un numéro ?


— Où suis-je ? — Au Village France Telecom.
— Qu’est-ce que vous voulez ?
— Des résultats.
— Dans quel camp êtes-vous ?
— Vous le saurez en temps utile… Nous voulons des résultats, des résultats, des résultats…
— Vous n’en aurez pas.
— De gré ou de force, nous en aurons.
— Qui êtes-vous ?
— Je suis le Numéro 2.
— Quel est le numéro 1 ?
— Vous êtes le Numéro 6.
— Je ne suis pas un Numéro… Feu !


Rémi L. a peut-être choisi de s’évader du village France Telecom, tout simplement… et comme d’autres avant lui !

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