jeudi 16 décembre 2010

maliweb.net :: Haïti, le désastre de l’aide humanitaire

"Dix mois après le tremblement de terre, Port-au-Prince est toujours en ruine. Malgré les 11 milliards d’aide internationale, rien n’a été fait !


Un échec du pouvoir haïtien et de communauté internationale, en premier lieu, des États-Unis.

Sur les pentes raides du quartier de Canapé-Vert, des dizaines de milliers de personnes vivent sous des bâches. Quelques citernes d’eau, des latrines qui débordent, des conditions d’hygiène effroyables et des décombres qui bloquent encore les rues. Partout, des bidonvilles précaires ont surgi, remplaçant ceux qui ont été rasés par le séisme. Il en est de même à Pétionville. Refuge traditionnel de l’élite, ce quartier est envahi de camps. Des milliers de personnes vivent sur ses principales places. Dans ce qui fut le parc Sainte-Thérèse, l’ancien terrain de foot est devenu un camp où les tentes se serrent les unes contre les autres. Deux mille cinq cents individus, quatre douches hors d’usage, une dizaine de points d’eau pas toujours alimentés et des WC saturés.

En sillonnant les ruines de Port-au-Prince, il faut s’indigner, crier même. Une ville détruite à 80 %, 2,5 millions d’habitants, et partout, des tentes, des bâches, des cahutes de planches ou de tôles. Un immense bric-à-brac, parfois organisé dans des camps qui regroupent jusqu’à 50 000 personnes, ou sauvagement improvisé. Survivent ainsi 1,3 millions de personnes entre décombres, misère et abandon.

Dévasté par le tremblement de terre du 12 janvier (250 000 morts, 300 000 blessés), Port-au-Prince n’est qu’une plaie. Personne ne peut s’y habituer et ses habitants le font savoir : leur situation est insupportable, la répétition des malheurs sur ce bout d’île (cyclone, séisme et maintenant choléra) ne saurait aider à banaliser l’intolérable.

« Je n’ai plus rien », note Marcel Désiré, qui vit avec sa femme et ses deux enfants sous un fatras de bâches. A côté, quelques tentes peuvent encore faire illusion : des meubles, une couverture qui sert de cloison pour séparer deux espaces. Mais, sous ses bâches, Marcel n’a rien sauf un coffre, quelques bassines et un petit réchaud à charbon de bois. « Depuis quatre mois, les ONG ne passent plus, nous n’avons plus d’aide, et chacun ici veut partir, mais pour aller où ? » Kirline, voisine de camp, tente de se débrouiller et de nourrir ses deux enfants en vendant des sodas sur le trottoir qui borde le camp. « Ça ne marche presque plus, dit-elle, les gens ont épuisé leurs réserves, ou gardent leur argent pour partir. »

Plus de services de base


Partir. Partout, les gens en parlent, cherchent et hésitent. Le choléra a fait 1 000 morts en moins d’un mois. L’épidémie galope dans Port-au-Prince et s’installe dans les camps où la promiscuité, le manque d’hygiène, de services de base et d’eau potable sont autant de bombes à retardement. Paradoxe : cela peut être encore pis ailleurs ! « Il y a un minimum de structures et de surveillance sanitaire dans les grands camps, explique Stefano Zanini, chef de mission de Médecins sans frontières à Port-au-Prince. Ce ne sont pas les lieux les plus dangereux. Notre inquiétude porte plutôt sur les innombrables campements improvisés, sur tous ces gens qui vivent dans les dénombres. »

Avec le choléra a surgi un pays réel, fort éloigné des communiqués officiels, des rapports d’experts et des déclarations lénifiantes de responsables. Que découvre-t-on ? Que le business de l’eau potable à Port-au-Prince en interdit l’accès à la majorité des gens. Qui peut payer 1€ pour un seau d’eau, dans un pays où les deux de la population vivent avec moins de 1 € par jour. On se débrouille, avec de l’eau sale puisée dans les ruisseaux, les citernes d’eau de pluie, les camions d’eau dite « propre » mais pas pour autant potable.

Que découvre-t-on encore ? Que des villes entières, de plusieurs dizaines de milliers d’habitants, ne disposent pas de réseau d’eau, pas plus de tout-à- l’égout, toujours pas de système de collecte des eaux usées et encore moins d’un ramassage des ordures. Où sont les services de base ? Il n’y en a pas dans un pays où l’Etat prédateur n’a jamais investi et où le séisme a achevé de détruire le peu qui existait.

« C’est un immobilisme total. Le temps s’est arrêté, nous sommes toujours le 13 janvier, dit Stéphane Pierre-paul, rédacteur en chef de l’une des principales radios du pays, Radio Kiskeya. Il y a comme une volonté de prendre la population en otage, de la tenir par les tripes. Mais il y a aussi l’immobilisme de l’appareil, d’un Etat détruit et incapable de trouver des réponses efficaces. »

Port-au-Prince et Haïti se trouvent tout entiers résumés au Champ-de-Mars. Autour de cette immense place centrale de la ville se font face le palais national – siège de la présidence de la République -, toujours en ruine, et un gigantesque camp où vivent entre immondices et rigoles nauséabondes probablement 20 000 personnes. Deux personnes ici sont déjà mortes du choléra . Le cadavre d’une vieille femme a été retrouvé abandonné, en état de décomposition avancé, au fond d’une tente.

La ville devrait être un chantier. Elle est une décharge. Et partout la question est la même : pourquoi rien ou presque n’a-t-il été fait ? Elle s’adresse moins à l’Etat haïtien, détruit et paralysé par les luttes politiques qui doivent conduire aux élections présidentielles et législatives du 28 novembre, qu’aux Etats-Unis et à la communauté internationale. Haïti est un pays sous tutelle : 70 % de son budget est assuré par les dons de la communauté internationale. Médecins sans frontières constitue désormais l’ossature médicale du pays. Les grandes ONG ou agences américaines assurent l’essentiel.

Alors pourquoi ? Pourquoi les 11 milliards de dollars de l’aide internationale montant convenu lors de la conférence des donateurs en mars – n’ont-ils pas été débloqués, injectés dans les travaux de reconstruction, d’infrastructures ? Pourquoi est-il même impossible de garantir un approvisionnement minimal de la population en eau potable ? Fin juin, un rapport de mission auprès de la commission des Affaires étrangères du Sénat américain tirait déjà la sonnette d’alarme. Oui, la phase de secours d’urgence a été correctement menée, assurait-il, mais « des signes inquiétants montrent que la reconstruction est à l’arrêt ».

Il y a d’abord les biais et astuces de l’aide et des dons. Quarante pour cent des fonds américains ont servi à payer… l’armée américaine qui a envoyé 20 000 marines pendant quatre mois sur l’île. En février, Nicolas Sarkozy proposait que la France reconstruise à l’identique le palais national. Quand les travaux furent évalués à 120 millions d’euros… la promesse fut enterrée au plus vite.

Mais le principal est ailleurs, dans la mise en place d’une bureaucratie inefficace. La reconstruction, ce devait être la tâche de Bill Clinton et de Jean Max Bellerive, Premier ministre haïtien : les deux hommes dirigent la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti. A eux de gérer les fonds des donateurs, de fixer les priorités et les urgences, de choisir les projets. Ses pouvoirs sont limités, ses missions sont floues, et les donateurs ne sont pas d’accord entre eux…. « Il est urgent qu’elle devienne pleinement opérationnelle », note le rapport au Sénat américain. Un diplomate européen à Port-au-Prince complète : « C’est du grand n’importe quoi ! Nous recevons des dossiers qui font trois pages. La commission peut dire oui, et ensuite ? Il faut des relais, des appels d’offres, des maîtres d’œuvre, une puissance publique. Or, rien de cela n’existe. »

« Haïti est un laboratoire des erreurs de l’aide humanitaire, avec une somme de stratégies qui n’ont rien produit. » Michaelle Jean envoyée de l’Unesco


L’argent est là. Inutilisé, tandis que les Etats-Unis , qui avaient pris le contrôle de l’aéroport et du port au lendemain du séisme, ont repris leurs pires habitudes : traiter directement avec les ONG plutôt qu’avec l’Etat, inonder le pays d’une aide alimentaire qui détruit l’agriculture, laisser les agences intervenir sans coordination. Il y a quelques mois, un autre diplomate européen résumait la stratégie américaine en Haïti : éviter que la catastrophe ne déborde en Floride, à moins de deux heures d’avion. « Ils n’ont qu’une mission, être en mesure de prendre le contrôle du pays en quelques heures pour éviter boat people, tueries, etc »

L’ONU, qui a pourtant perdu des centaines d’hommes dans le séisme, a également repris ses mauvaises habitudes : lenteur des décisions, coordination difficile avec les ONG, projets non suivis, priorités peu ou mal fixées. L’exaspération des Haïtiens se tourne vers la communauté internationale. De premier affrontements ont eu lieu avec la Minustah, cette force internationale de 14 000 hommes présente dans le pays depuis 2004 et vécue comme étant une force d’occupation. Pis, elle est désormais fortement suspectée d’avoir déclenché l’épidémie de choléra en ayant, début octobre, incorporé des soldats népalais porteurs de la maladie !

Depuis bientôt vingt ans, États-Unis comme ONU s’essayent au nation building en Haïti. Depuis vingt ans, le pays sombre. Haïtienne, ancienne gouverneur générale du Canada, Michaelle Jean vient d’être nommée envoyée spéciale de l’Unesco à Port-au-Prince. Son premier discours fut un réquisitoire contre une aide internationale alimentant gabegie, assistance et corruption. « Haïti est devenu un immense laboratoire de toutes les expériences, de tous les essais et erreurs de l’aide, avec une somme de stratégie lacunaires qui n’ont jamais rien produit, rien réalisé de réellement durable », dit-elle. C’est aussi ce que disent, à leur manière, les bidonvilles de Port-au-Prince.


PAR NOTRE ENVOYE SPECIAL A PORT-AU-PRINCE, FRANCOIS BONNET/ MEDIAPART

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