vendredi 26 novembre 2010

Haïti. L’errance des sinistrés du séisme | Humanite

Dix mois après le tremblement de terre, les fonds promis par la communauté internationale font toujours défaut, et
 le gouvernement du président Préval brille par son absence.

Sur les hauteurs de Pétionville, où les constructions anarchiques à même les flancs de colline donnent la mesure de l’explosion démographique de Port-au-Prince, des bâches bleues et blanches se sont officialisées. Un camp de sinistrés embrasse désormais Peguyville, l’un des nombreux bidonvilles de la capitale haïtienne. Dix mois ont passé depuis le 12 janvier. Ce jour-là, un séisme a tué 300 000 Haïtiens, démultipliant encore l’indigence. Dix mois ont passé, et pourtant, les cicatrices sont béantes.

En grimpant sur une voie terreuse, où déchets et eau croupie se disputent le terrain, les habitants se donnent du « respect ». Au seul point d’eau, les femmes s’activent à la lessive. Des enfants aux pieds nus jouent à la balle. En contrebas de la fontaine, dans un canal asséché, des cochons noirs fouillent les détritus qui s’amoncellent. Assis sur les marches d’un collège, protégées d’un auvent en plastique, Alix Fortuné, enfant du quartier musicien, revoit l’afflux de personnes terrorisées quittant « leurs maisons détruites ou fissurées ». Depuis, « les tentes, la tôle et les maisons en bois cohabitent, commente-t-il. Au début, des organisations sont venues pour aider mais la plupart sont reparties. » Une zone à l’abandon à l’image du pays.

Une toile plastique soutenue par trois poutres en bois accueille une église improvisée. Les riverains, endimanchés, se pressent pour assister à la messe. Refuge d’un pays encore dévasté où l’on croit plus en un signe de Dieu qu’à un geste du gouvernement. Puis, à la fin du chemin : une mini-ville de bâches gérée par le comité de la Fondation Saint-Preux. À l’entrée de sa tente, où elle vit avec ses deux enfants, sa sœur et son époux, Elina frotte une casserole noircie. Timide, elle déclare en créole que « rien a changé » depuis le séisme. Une phrase qui est sur toutes les lèvres. « On vit des petits boulots de charpentier de mon mari, raconte Elina. Mais quand il trouve. »

Frustrée, la population tente de survivre

Comme près de 80 % d’Haïtiens au chômage, le quotidien est fait de « débrouille », confie encore Elina. Et de solidarité entre les sinistrés. Les trois ONG états-uniennes qui avaient débarqué en force au lendemain du séisme« ont déserté les lieux depuis septembre, déclare Alain, du comité du camp. Ils ne nous versent plus rien. » Pour restructurer un minimum de vie dans ce no man’s land où le quotidien est fait de rien, les membres du comité se sont employés à ouvrir les portes d’un établissement scolaire pour accueillir les 350 enfants. « Nous avons dû nous battre pour conserver les bancs d’école qu’une association voulait nous reprendre », indique, outré, Ofranel, de la Fondation. La location d’un grand container fait office de classe, en attendant la construction en dur financée désormais par l’Unicef. « Mais le problème n’est pas réglé car nous n’avons pas l’argent suffisant et nécessaire pour rémunérer les professeurs », précise Alain. Le système « D » a ses limites, et les portes du gouvernement, elles, restent définitivement closes. D’ailleurs, le bénévole en ricane, agacé : « Est-ce qu’il y a un État ? Nous faisons le travail à sa place. »

Avant le séisme, le gouvernement du président René Préval cristallisait déjà les tensions sociales et politiques. Aujourd’hui, elles sont à fleur de peau. La société est grosse de frustrations. L’absence de l’exécutif n’est pas la seule critiquée. On attend toujours le versement des milliards promis après le séisme par les grandes puissances... C’est dire si la campagne électorale pour les élections générales de ce dimanche, et les millions de dollars décaissés pour ce faire, a quelque chose de surréaliste. Et de choquant tandis que la population, livrée à elle-même, tente de survivre dans un environnement infra-humain. « C’est pour cela que les élections ne nous intéressent pas, coupe Alain. D’ailleurs ici, on n’a pas vu l’ombre d’un candidat. »

Les acteurs de la présidentielles

Tandis que les sinistrés du séisme se débattent dans une situation infra-humaine, la machine électorale semble suivre son cours. Comme si de rien n’était. Officiellement, près de 4,7 millions d’électeurs doivent élire, dimanche, leur président, 11 sénateurs et 99 députés. Mirlande Manigat, du Rassemblement des démocrates nationaux progressistes, recueillerait 30,3 % des intentions de vote, selon un sondage du Brides, devançant ainsi Jude Célestin, du parti présidentiel Inite (21,7 %). L’ex-chanteur Michel Martelly arriverait troisième (10,8 %) devant Jean-Henry Céant (8,3 %) et l’industriel Charles-Henri Baker (7 %). Inite raflerait la mise dans les deux chambres (9 sénateurs et 67 députés). À part ça, 80 % des sondés pensent que les scrutins seront entachés d’irrégularités. Si les élections ont bel et bien lieu…

Haïti (Port-au-Prince), envoyée spéciale.

Cathy Ceïbe

– Envoyé à l'aide de la barre d'outils Google"

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