dimanche 31 octobre 2010

VOUS AVEZ DIT « PÈRE DE LA NATION » ?


Dans un court billet publié par France- Antilles du 19/10/2010 (voir aussi notre article ), Patrick Chamoiseau proclame que « celui qui parviendra (…) à mettre en branle [le] processus de responsabilisation deviendra le père de la Nation ».

Beaucoup d’observateurs ont vu dans ce « père de la Nation » nominé par notre prix Goncourt la personne du président actuel du Conseil régional Serge Letchimy. Si bien que Manuel Norvat s’est senti obligé de venir au secours de l’écrivain dans France-Antilles du 26 octobre (et dans nos colonnes) pour tenter de rectifier.


Il plaide : « Il faut avoir une bonne dose de mauvaise foi pour vouloir assimiler Serge Letchimy au dit « père de la nation » évoqué dans ce texte ». Et il insiste : « Il est encore plus démagogique de suggérer que l’auteur de ce texte, Patrick Chamoiseau, serait subitement le doxographe de Serge Letchimy (…) ».
Avouons humblement que nous avons consulté notre dictionnaire pour connaître le sens du mot « doxographe ». Il est indiqué que : « L’activité d’un doxographe consiste à reproduire et souvent commenter les propos, opinions et écrits de penseurs antérieurs ou contemporains, surtout de la Grèce antique ». En clair, Chamoiseau serait, disent certains, la « plume » de Serge Letchimy.
Nous avons voulu vérifier.

Didier Laguerre, Secrétaire général du nouveau PPM, avait dit notamment le 16 septembre lors de la présentation des résultats de la Commission mixte ad hoc sur la mise en place de la Collectivité Unique dont il était le co-président : « La question n’est pas celle d’une évolution statutaire en soi, elle est celle d’une accession à un processus de responsabilisation. Il s‘avère que, dans ce cas, pour passer d’un système d’assistanat-dépendance à un processus de responsabilisation, il faut une redéfinition des structures institutionnelles qui ne peut se trouver dans la simple addition ou fusion de deux institution »conseil général et conseil régional (…). Il avait poursuivi : « Je crois que la tâche de notre génération de sortir de la mise sous tutelle qui relève de la gestion assistée ou de l’indifférenciation malsaine avec la France. Derrière l’exigence de la responsabilisation, il y a une conviction fondamentale : l’existence d’un peuple et d’une nation martiniquaise. Il s’agit d’actionner le seul ingrédient qui n’a jamais été de mise dans tous les plans de développement que l’on nous a assénés depuis 1946. Cet ingrédient c’est la responsabilisation. La prise en main de notre destin dans le monde, cela est fondamental ».

Patrick Chamoiseau répondant à Rudy Rabathaly dans une interview à France- Antilles du 17 septembre 2009, c’est-à-dire en pleine campagne sur la consultation sur le 74 où il soutenait la troisième voie de Serge Letchimy : Question de France-Antilles : « L’avenir de la Martinique et des Martiniquais est-il vraiment lié à une évolution statutaire ? N’est-ce pas un leurre ? »

Réponse de Patrick Chamoiseau : « La question n’est pas celle d’une évolution statutaire en soi, elle est celle d’une accession à un processus de responsabilisation. Il s‘avère que, dans ce cas, pour passer d’un système d’assistanat- dépendance à un processus de responsabilisation, il faut une redéfinition des structures institutionnelles. Je crois que c’est la tâche de notre génération de sortir de la mise sous tutelle et d’actionner le seul ingrédient qui n’a jamais été de mise dans tous les plans de développement que l’on nous a assénés depuis 1946. Cet ingrédient c’est la responsabilisation. La prise en main de notre destin dans le monde. Et ça, est fondamental (…) ».

On constate que le copié-collé est quasi identique. Et on peut en relever d’autres dans la déclaration de Didier Laguerre, Secrétaire général du néo-PPM. Qui a copié l’autre ?

Notons que Laguerre et Chamoiseau opposent tous deux, comme par hasard, le même concept de « processus de responsabilisation » à statut ou à Autonomie pour masquer le fait qu’ils ont choisi d’enfermer le pays dans l’article 73, c’est-à-dire dans l’Assimilation qu’ils font mine de refuser par ailleurs. Or, le dit « processus de responsabilisation » inclut nécessairement le changement institutionnel et statutaire, même s’il ne se réduit pas à cela, nous en sommes d’accord. De même, on retrouve le même concept de « système d’assistanat-dépendance » chez Chamoiseau et chez Laguerre. Patrick Chamoiseau propose lui en outre l’idée de « souveraineté optimale » qui consisterait à « investir le maximum d’espaces de souveraineté qu’il nous sera possible ». Manière de dire qu’il convient d’avancer par étapes sur la voie de la souveraineté ou de la libération nationale. Didier Laguerre parle, lui, de « responsabilisation optimale ».

Qui est le gourou de l’autre ou le « doxographe », comme le dit Manuel Norvat ? Et puis on nous dira que Didier Laguerre ce n’est pas Serge Letchimy. Qui peut croire que Laguerre n’agit pas en étroite concertation avec le président du néo-PPM ?

Sur le fond, c’est ce que dit avec des mots moins savants et…obscurs le PCM depuis les années 1950/1960. Et d’autres forces politiques après lui. Il n’y a rien là de fondamentalement nouveau. Mais, précisément, n’était-ce pas ce qui était proposé avec l’autonomie limitée et encadrée de l’article 74 ? Quelle souveraineté même « optimale » est possible dans l’article 73 dans lequel ce qui prime c’est l’identité ou assimilation législative et dans lequel l’adaptation est marginale selon la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, gardien vigilant du jacobinisme français ?

Ce nouveau vocable de « processus de responsabilisation » n’est-il pas un nouveau tour de prestidigitation pour masquer un immobilisme foncier ? Enfin Patrick Chamoiseau, du haut de son Olympe, qualifie de « faible degré politicien (…) voué aux oubliettes de l’histoire » tout ce qui est « agitation dans les urgences, logique de gestion, panacée économique ou paternalisme social ».
Et pourtant c’est dans les luttes d’aujourd’hui sur les problèmes quotidiens du peuple, les urgences qu’elles soient environnementales ou sociales, la gestion de nos collectivités, la résolution des questions économiques et la défense des revendications sociales que se préparent les grandes mutations de notre société. C’est ainsi aussi que se réalise le « processus de responsabilisation ». Ce qu’il importe c’est garder le cap vers la responsabilité martiniquaise.

C’est le peuple qui fait l’Histoire, il n’a pas besoin de « père » ou de « leader fondamental » autoproclamé ou désigné par des thuriféraires.

Par Michel Branchi, rédacteur en chef de « Justice »



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