mardi 20 avril 2010

LES VIOLS DANS LES CAMPS : LEVER LE VOILE DU TABOU ! Par Nancy Roc ds Le Matin

Les viols dans les camps : lever le voile du tabou !

Déjà traumatisées par le séisme qui a dévasté Port-au-Prince le 12 janvier, des femmes, des adolescentes et même des fillettes sont victimes de viols dans les camps de sinistrés, en particulier à Port-au-Prince. Faute de sécurité et de forces de l'ordre, les violences faites aux femmes et notamment les agressions sexuelles se multiplient dans les camps. Les organisations humanitaires ont commencé à tirer la sonnette d'alarme le mois dernier ; mais ce sujet demeure encore tabou dans la presse haïtienne. Pourtant, il est clair que la catastrophe du 12 janvier a rendu les Haïtiennes encore plus vulnérables au fléau que constitue le viol.

Sans éclairage ni sécurité, les camps deviennent particulièrement dangereux à la tombée de la nuit. La journaliste Michelle Faul de l’Associated Press, rapporte, dans un article intitulé « Les femmes victimes de viols après le séisme » , qu’une « jeune mère de 21 ans a été violée par trois hommes après être sortie de son abri le soir du 27 février pour se rendre aux latrines. Elle explique également que sa famille n'a pas reçu d'aide alimentaire car les hommes haïtiens remettant les coupons pour la distribution de vivres réclament des faveurs sexuelles.

Le chantage «sexe contre nourriture» n'est pas rare dans les camps, note un rapport publié le mardi 16 mars par l'Institut interuniversitaire pour la recherche et le développement en Haïti. « En particulier, les jeunes filles doivent négocier sexuellement pour obtenir un abri (...) et avoir accès à l'aide alimentaire.»
Fritznel Pierre, un défenseur des droits de l'homme a recensé plusieurs autres cas et les a rapportés à la journaliste Michelle Faul. Ainsi, il a évoqué le cas d'une adolescente de 17 ans violée par six hommes. « Elle dit qu'elle voit ses assaillants, mais a peur de les dénoncer parce qu'elle devrait alors quitter le camp et n'a nulle part où aller », explique-t-il. À Pétion-ville, une victime de viol de sept ans a été soignée après avoir été violée dans un campement installé sur le parcours de golf près de l’Ambassade américaine. Une enfant âgée de seulement deux ans avait été violée dans le même camp deux semaines plus tôt.

Outre le danger des infections sexuellement transmissibles classiques et d’une grossesse non désirée, les victimes sont également exposées au risque de contracter le virus du SIDA. Haïti a le taux d'infection au VIH le plus élevé du continent américain avec une personne sur 50 contaminée.


Pour des camps sécurisés et à dimension humaine
Cette semaine, nous avons rencontré la militante féministe et Directrice de l’organisation canadienne Droits et Démocratie en Haïti, Mme Danièle Magloire, qui a corroboré ce phénomène grandissant. Face à ce dernier et avec l’appui du Fonds de développement des Nations Unies pour la femme (UNIFEM), Droits et Démocratie a mis sur pied des cellules d’accompagnement psychologique qui ont pour mandat, d’une part, de sensibiliser et d’informer sur la violence de genre et les recours aux viols, notamment les soins applicables à la victime dans les 72h suivant un viol ; d’autre part, de repérer les cas et les référer aux autorités. Des accompagnateurs et accompagnatrices ont reçu une formation en ce sens de janvier à février.

Toutefois, comment comprendre que dans la promiscuité des camps, des femmes, adolescentes et des fillettes puissent se faire violer sous les yeux des membres de leurs familles ou de leurs voisins sans que personne n’essaye d’arrêter les agresseurs ? « Il y un seuil de tolérance qui est assez élevé par rapport au viol », regrette Danièle Magloire qui souligne que la plupart des fillettes qui ont été agressées sexuellement l’ont été lorsqu’elles se rendaient, à la tombée de la nuit, dans les points d’eau ou aux latrines. Pour Mme Magloire, « les organismes humanitaires n’ont pas été très sensibles aux normes qui sont pourtant édictées par les organisations internationales telles que les Nations Unies. Normalement, dans les camps, les toilettes devraient être séparées selon le sexe ; en Haïti, c’est très loin d’être le cas ». Quant aux agresseurs, « beaucoup mais pas tous » précise-t-elle, « sont des membres de gangs ou y sont affiliés ». Selon la Directrice de Droits et Démocratie en Haïti, les victimes gardent souvent le silence car, n’ayant pas de protection de la police ou d’aucune autre force de sécurité, elles ont peur des représailles. « À Port-au-Prince, il n’existe que quatre commissariats dédiés à la prise en charge de ce type d’agression », révèle-t-elle. Danièle Magloire se dit très concernée par l’absence de mesure prises pour prévenir les viols dans les camps : « Il faut aussi comprendre que les gens ne se trouvent pas dans les camps toute la journée ; certains ne s’y rendent que pour dormir mais n’y vivent pas. D’autres y vivent mais doivent se déplacer pour aller chercher les moyens de survivre. C’est à ce moment là que des jeunes filles et même des enfants se retrouvent seuls dans les camps et deviennent vulnérables à de telles agressions ». Face à cette configuration, Mme Magloire plaide pour des camps à dimension humaine : « lorsque les camps sont trop grands, nous n’avons pas la capacité en Haïti de les gérer correctement et en respectant les droits des personnes. » Elle dénonce aussi l’absence de patrouilles permanentes dans les camps en rappelant que la plupart des familles haïtiennes sont souvent monoparentales. « Ainsi, lorsque la mère sort pour gagner sa vie et celle de ses enfants, ces derniers deviennent totalement vulnérables ».

Le chef de la police, Mario Andresol, a imputé ces viols aux quelques 7000 détenus qui se sont évadés lors du séisme. « Nous sommes conscients du problème (...) mais ce n'est pas une priorité », a déclaré en février la ministre de l'Information Marie-Laurence Jocelyn Lassègue, rapporte Michelle Faul.
À son arrivée en Haïti, le Chef de la MINUSTAH, M. Edmond Mulet avait promis des camps «sûrs». On les attend encore.

Nancy Roc, Montréal, le 14 avril 2010.

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