lundi 18 janvier 2010

Tremblement de terre en Haïti - épisode 1 : la simplicité ou du flou de certains concepts pour les occidentaux


Mon père est haïtien. Je suis donc à moitié à haïtienne.
Avec mes parents nous avons vécu en Haïti quand j’étais très petite, puis j’y suis retournée chaque année avec mon père jusqu’à l’âge de mes neuf ans, jusqu’à ce que les gros problèmes de sécurité commencent là-bas.


Haïti est magnifique vous savez. Le peu de souvenirs que j’en garde, ce sont des paysages extraordinaires, des montagnes luxuriantes et des plages de sable fin. C’est une belle île. Et les gens y sont beaux. Les haïtiens sont beaux. Les enfants haïtiens sont magnifiques, avec leurs grands yeux noirs. Ça me frappe toujours quand je les vois à la télévision aujourd’hui.

Voilà des années que je n’y suis plus retournée. Au fil des années, certains des frères et soeurs de mon père – ils sont neuf – ont fini par quitter le pays aussi, comme mon père. Ils ont voulu mettre leur famille en sécurité, avoir une chance de vivre mieux, alors ils sont partis. La petite diaspora de ma famille se trouve maintenant éparpillée sur le globe, entre le Canada, les Etats-Unis et l’Europe.

Mais il y a ceux qui n’ont jamais voulu laisser leur pays. Ils sont trois. Le frère de mon père Guy, qui vit aux Gonaives, la ville qui a été le plus sévèrement touchée par les inondations de 2008, et il y a ses deux soeurs Marie-Gérard et Thérèse, son aînée, que nous appelons tous Toy pour une raison qui m’a toujours été inconnue.

Toy est une religieuse, de la congrégation des Soeurs de Saint Joseph de Cluny. C’est ce que j’appelle une « vraie » religieuse, c’est à dire une femme au coeur pur, qui s’est toujours dévouée corps et âme à ses missions. Elle s’occupe d’un couvent dans la ville de Jacmel, à 40km au sud de Port-au-Prince. Elle appelle tous les élèves « ses enfants » et a une affection sans borne pour eux. C’est un tout petit bout de femme à la force surhumaine qui, à 80 ans passés, tient encore à rester sur sa terre, auprès des siens.

Vous n’avez pas idée des nombreuses angoisses auxquelles ma famille a dû faire face au cours de ces vingt dernières années. Entre les violences urbaines, les pillages, l’armée terroriste, les enlèvements, les cyclones, les inondations… pas une année ne se passait sans apporter son lot d’angoisses et de nuits blanches.
Une de mes tantes s’est faite arrêter dans un faux barrage où on a voulu la dépouiller de tout ce qu’elle avait, deux autres ont eu des revolvers braqués sur leur tempe, dont Toy. Mon oncle Guy est resté huit jours sur le toit de sa maison aux Gonaïves sans eau ni nourriture pendant les inondations… et à chaque désastre les communications sont impossibles alors tout le monde est potentiellement « disparu » à chaque fois.

Et aujourd’hui ça.

Je dormais quand ma mère m’a appelée mardi matin pour me demander si j’avais vu ce qui était arrivé en Haïti. J’ai donc allumé la télévision et là mon coeur s’est arrêté. Quand j’ai eu mon père il m’a dit avoir réussi à joindre son frère Guy et sa soeur Marie-Gérard une fois, mais plus jamais depuis, et surtout que personne ne savait si Toy allait bien.
A partir de ce moment j’ai passé chaque minute tentant de faire sonner les téléphones là-bas, communiquant avec mon père à Montréal, paniquant, angoissant, priant le ciel.
Nous ne savions pas grand-chose sur Port-au-Prince, alors vous imaginez à Jacmel. On ne parlait que de la capitale à la télévision. Puis j’ai fini par trouver des bribes d’informations sur la ville de ma tante, dont on disait qu’elle avait été touchée à 80%… l’horreur.
Ça a duré deux jours et deux nuits blanches. Je ne pouvais même pas fonctionner. J’ai vomi d’angoisse, je ne mangeais pas, je restais collée devant le poste des informations à voir et revoir toujours les mêmes images.
Puis ce matin à l’aube, un appel de mon père pour me dire que son frère Guy a appelé, et qu’il a lui-même eu contact avec Toy, et qu’elle « va bien ».
Nous ne savons pas quelle aide a été prévue à Jacmel, donc nous ne savons pas quand ils seront soignés, nourris et abreuvés là-bas. Le stress reste, mais au moins pour le moment, Toy, elle, est en vie, mais choquée par la mort de trente de ses consoeurs…
Quelle genre de joie égoïste à exprimer quand l’un des siens est sauf alors que tant d’autres y ont laissé leur vie…

J’ai toujours une forte réaction à ce genre d’événement, même lorsque je ne suis pas directement concernée. Je pleure souvent, je prie qu’on leur vienne en aide, je m’en veux de ne pouvoir rien faire.
Mais cette fois, bien évidemment, de savoir que ma famille était là bas, ça me donnait une toute autre perspective et c’était au delà de tout.
Et je me suis vue allongée dans mon lit, bien au chaud sous ma couette, me demandant – réellement, parce qu’on a tous ce genre de réflexion dans la vie, mais de le ressentir c’est différent – qu’est-ce que j’avais fait pour mériter d’être là au chaud, tandis que ces milliers de personnes, ma tante y compris, étaient là-bas, au coeur de cette catastrophe, sans toit sur leur tête, sans eau ni nourriture, sans personne pour les sauver.
Et je regardais les petites pinces en forme de soleil qui tiennent les rideaux de la fenêtre de ma chambre, en me demandant quel genre d’imbécile peut s’être levée un matin en se disant « je vais aller acheter des petites pinces en forme de soleil pour tenir les rideaux de la fenêtre de ma chambre ». Moi, visiblement.

Superman (mon mec) m’a dit que nous avions de la chance tout simplement, et que c’est pour ça qu’il fallait être reconnaissant de ce qu’on avait dans la vie. Oui, je suis d’accord, bien évidemment. Mais est-ce que le fait d’avoir la chance d’être là, libres de s’acheter des vêtements à la toute dernière mode, libres de manger et même de manger trop, libres de passer des heures dans des bars branchés à dépenser de l’argent et à ne parler de rien, et libres de s’acheter des petites pinces à rideaux en forme de soleil, ne devrait pas plutôt être célébré en donnant à ceux qui n’ont pas eu cette chance ? Donner, ça veut dire plein de choses.
Il y a ceux qui ont le courage de partir dans ces pays et d’aider concrètement ceux qui en ont le plus besoin, puis il y a ceux qui tendent la main dans leur propre pays, qui font du bénévolat, qui cherchent à se rendre utile, qui aident ne serait-ce qu’une seule personne dans le besoin autour d’eux ; mais pour les autres, qui ne rentrent pas dans ces catégories, qu’y a-t-il à faire ?

Il y a ceux qui essaient de coordonner leurs efforts pour envoyer de l’aide, qui tentent de faire entendre leurs causes, qui communiquent dessus. Et il y a aussi ceux qui donnent de l’argent.
Alors ceux là on les critique souvent.
« C’est pour soulager leur conscience on sait bien. »
Premièrement je remarque que souvent ceux qui disent ça sont des gens qui ni ne donnent d’argent NI ne font rien des premières catégories dont j’ai parlées. J’aimerais beaucoup que ces gens là se taisent. Ensuite oui c’est peut-être vrai que c’est pour soulager leur conscience, mais le résultat au final, c’est qu’il y a de l’aide venant de quelque part. Et ne rentrons pas dans le débat des organismes qui détournent les dons s’il-vous-plaît, il y en a qui font très bien leur travail et de dire « Je ne donne rien parce que je ne sais pas où ça va aller. » pour moi ça pue l’excuse bidon pour ne pas avoir à donner.
Mais d’un autre côté, j’avoue qu’une fois l’argent donné, le fait que certaines de ces gens reprennent leur petite vie faite de confettis et de consommation à outrance, ça me pose un problème. Quelque chose ne colle pas. Où est la prise de conscience dans tout ça ?

J’ai toujours eu du mal avec les accessoires. Les quoi ? Les accessoires. Vous savez quand une fille s’habille et qu’il faut absolument qu’elle aie LA ceinture qui va avec LE sac qui vont avec LES chaussures qui vont avec LES boucles d’oreilles qui vont avec LE rouge à lèvres là. Et je ne parle pas des sacs à 200 euros (voire bien pire) ou des chaussures à 350 (voire bien pire) ou des manteaux en fourrures d’animaux morts au service de la mode de madame à 800 euros (voire bien bien pire).

J’ai souvent des réflexions quant à ma façon de m’habiller, « trop simple », pas assez « sophistiquée ».
« Comment ça t’as pas de ceinture ?? Mais c’est la ceinture QUI FAIT TOUT !!!! » « Mais t’as toujours le même sac ! »
Ben oui. Et là à toutes les filles qui ont cette habitude, je m’excuse d’avance de ce que je vais dire , mais je le pense sincèrement. Je n’ai jamais pu trop m’«accessoiriser» parce que j’ai toujours trouvé cette manie grossière, et aujourd’hui j’assume encore plus ce sentiment. Grossière dans les sens d’inconscient, de ridicule et de vulgaire. Et vulgaire dans le sens que je trouve ça de très mauvais goût d’avoir des considérations aussi matérialistes au point qu’on est prête à saigner son compte de banque juste pour être « assortie », plus voyante et plus clinquante. « Il me FAUT ce dernier VUITTON!!! » « Il me FAUT cette dernière BAGUE VICTORIA!!! » Sérieux? A ce point là? Sinon tu meurs?
J’aime ce qui est beau, et comme je me dois d’être vêtue, je vais acheter un vêtement que je trouve beau. Au-delà de ça, est-ce que je vais lui créer toute une famille d’accessoires en or et diamants et cuir de serpent qui vont me coûter une fortune à sa gloire personnelle à ce vêtement ? Non.

Et hier soir dans mon lit, le parallèle – il pourra sembler naïf à certains parce que tout le monde a déjà fait ce parallèle, mais encore une fois, de le ressentir au plus profond de soi, c’est différent – entre cette tendance à la surconsommation et entre ceux qui n’ont pas même un toit capable de les protéger en cas de coup dur, ça m’a semblé intolérable.

Alors nous ne sommes pas tous des missionnaires. Nous n’avons pas non plus tous le temps ou l’énergie de faire du bénévolat. Nous n’avons même pas tous les moyens de donner de l’argent. Par contre nous avons tous les moyens d’avoir un sens du respect envers ceux qui n’ont rien.
La distance est parfaite n’est-ce pas ? Elle garde la vérité loin des yeux, du coeur et de la conscience. Un peu comme n’importe quel être humain sensé aurait un peu de mal à aller faire la fête sachant que son vieux père est perdu quelque part tout seul dans la rue sans nourriture, si ce vieillard qui nous est étranger et dont toute la famille vient de mourir écrasée sous sa maison n’était pas à Port-au-Prince mais juste en face de nous, oserions-nous le regarder droit dans les yeux et enfiler notre manteau de fourrure et nos 18 bracelets en or, le prendre par la main pour ensuite aller nous empiffrer de nourriture au resto au point de devoir faire des régimes pour perdre les kilos superflus qui nous empêchent de mettre cette superbe ceinture hyper chère pour aller se montrer dans un club où on ne compte plus les bouteilles de champagne à 200 euros, tout ça sans rien partager avec lui et sans se sentir mal ?

J’ai peut-être l’air d’une « intégriste anti société de consommation » comme ça. Il faut pas croire. J’ai un iPhone! Je porte des bijoux! (en toc la plupart du temps) Mais je suis contente de pouvoir me rendre compte que je suis parfois ridicule, contente d’avoir du recul par rapport à cette tendance à la surconsommation ridicule, même si parfois ce ridicule semble être la solution à tous les manques et à tous les désirs de bonheur à tel moment donné.

Nous avons tous la capacité à nous rendre compte. La vie ne doit pas s’arrêter pour autant. Rien ne nous interdit d’être heureux et de profiter de la vie. J’aime aussi sortir, manger au restaurant, j’aime les jolies boucles d’oreilles, les jolis vêtements et j’aime m’offrir des trucs qui me font plaisir. Je ne suis pas Mère Thérésa. Mais en ce qui concerne tous les excès que nous faisons de ce côté-ci du monde au nom d’un soit-disant « droit au bonheur », bien loin et bien à l’abri sur nos beaux petits continents nord-ouest, pour moi c’est une honte.

Rien qu’en commençant à réfléchir à ce dont on a vraiment besoin, pour moi on fait déjà un pas vers une certaine conscience altruiste


Par Lùa
http://leblogdelua.wordpress.com/

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