mercredi 20 janvier 2010

PA GEN


Il n’y a pas
Je ne sais pas
Pa gen pa gen
Pa kòn
Il n’y a pas de mots pas de larmes pas de cris
Forts suffisamment magiques suffisamment incantatoires suffisamment
Il n’y a rien woy pa gen pa gen kin pawol kin pléré
Il n’y a pas
Il n’y a rien que ma grammaire déshabillée dépotjolée
Qui dans son désarroi accouche de mots barbares : mouriranmwé !
Mourir mourir mouriranmwé
Et toi, le Père, le Tout, toi Olohoum
Dis-moi où où où étais-tu quand ma terre tremblait quand ma terre se fendait quand elle ouvrait sa gueule béante pour ensevelir mon peuple
Mes gens
Mon-mien-peuple-à-moi-pa’ta-m
Pa’ta-m
Olohoum-Ô où où où étais-tu dis-moi
Et toi Papa-Legba
Tes portes n’ont-elles su laisser passer que la douleur et son funèbre cortège que la déveine et que l’horreur où étais-tu toi aussi avais-tu délaissé les portes et les carrefours que tu as mission de garder ?
Ô Legba-hé !
Et le torrent des larmes Agoué Agwé Taroyo
Et Simbi Dlo Andézo le chawa des larmes
Qu’en faites-vous qu’en ferez-vous dites
Ata Agwé Taroyo sa ka-p sové-yo sa ka-p sové-nou ?
Et toi Ayzan ma mère Claire-lumière
Ta lumière désormais voilée où où où reste t-elle tapie
Oubliant d’éclairer la plus horrible nuit
Et vous gardiens des cimetières
Baron Baron Baron
Guédé Guédé Guédé
Brav Aloviyé
Te réjouis-tu Brav, Papa, toi homme plus que tout homme toi Maître de ma vie et de ma mort
Vois-tu il n’y a pas je ne sais pas pa gen pa gen kin pawol
Voilà tu me chercheras et ne me trouveras point voilà sous les décombres je gis tjou pou tèt pyé pou tèt je gis sous les décombres de ma terre
Morte morte
Car vois-tu quand je clame qu’Haïtienne je suis, quand je dis que je ne sais par quel caprice des dieux mes yeux se sont ouverts au ciel d’une terre autre que la mienne-à-moi-pa’ta-m voilà tu aurais dû l’entendre ainsi, juste, juste chaque mot pour dire l’exact ressenti :
Qu’Haïtienne je suis, que mon corps ressent dans l’intime de sa chair ce que souffre mon peuple mon-mien-peuple-à-moi-pa’ta-m
Et vous, tous
Aujourd’hui, en cette nuit cataclysmique
Vous tous mes dieux tutélaires
Et toi, toi surtout Olohoum
Toi le Père toi le Tout
Que n’as-tu fait mentir
Ceux-là qui crient que mon peuple est maudit
Qu’il paie au prix fort d’être resté fidèle
Aux Dieux de nos Ancêtres
Olohoum-Ô
Ce soir, iconoclaste, j’enterre tous mes dieux
Mon péristyle enfoui sous les décombres
Mes statuettes brisées
Lampe éternelle éteinte
Et le sel sacré, cristallisé, roc devenu
Ne se répandra plus
Dans les replis de l’ombre
Et même
Même si je sais
Que ce peuple mien
Saura, ainsi qu’à chaque fois
Retrousser ses manches
Relever la tête, se rire de la déveine
Et permettre à la Vie de reprendre ses droits
Même si je sais que l’horreur et la douleur
Jailliront, transcendées, au détour d’un compa, d’un rara lancinant
Que leurs couleurs illumineront bientôt des toiles de fortune
Même si je sais qu’ainsi qu’à chaque fois
La Vie saura être la plus forte
Ce soir ce soir oui cette nuit
Il n’y a pas je ne sais pas
Pa tin pa gen pa ni
Pa gen chimen
Pa gen pawol
Pa gen limyè
Nulle consolation
Il n’y a pas il n’y a que ce mot barbare
Accouché d’une grammaire aux abois
Mourir mourir mouriranmwé
Anmwé anmwé anmwé !


Nicole Cage-Florentiny,
Hauts de Villeneuve, Sainte-Marie,
Le 13 janvier 2010

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