lundi 25 janvier 2010

Haïti : l'exode des survivants ne fait que commencer


REPORTAGE - De plus en plus d'habitants de Port-au-Prince, privés de toit par le séïsme, quittent la capitale haïtienne pour rejoindre les villes de province.

La scène est devenue coutumière au carrefour de la Hasco. Avant même les premiers rayons du soleil, une foule nerveuse, trimballant de gros sacs, se jette à l'assaut des vieux autobus scolaires qui conduisent les habitants de Port-au-Prince vers les villes du nord épargnées par le séisme.

Jean-Judel Laguerre, un étudiant de 22 ans, quitte pour la première fois la capitale. «J'ai peur. Je veux partir» , dit-il. Son histoire ressemble à celles de tous les autres fuyards. Une maison «écrasée», des parents «fracturés», conduits d'urgence à l'hôpital et dont on n'a plus de nouvelles.

Jean-Judel a choisi d'aller à Saint-Marc, un petit port situé à une centaine de kilomètres de Port-au-Prince. «Je n'y connais personne. Alors je dormirai dans la rue, mais de toute façon, ici aussi, je dors dehors. Au moins, je serai en sécurité». Dans le bus voisin, tout aussi bondé, Fouchat Talleyrand et sa femme, Rosemaine, vont retrouver de la famille dans le centre du pays. «Là-haut, on trouvera de quoi se nourrir», disent-ils. Fouchat, qui est fonctionnaire, n'a plus de travail. Alors, «mieux vaut s'en aller en attendant que le gouvernement reconstruise un peu».

Certes, ce n'est plus la fuite éperdue des lendemains du séisme, mais chacune des répliques qui secouent encore régulièrement Haïti provoque une nouvelle vague de panique. Sur le «warf», un petit port entouré de baraques branlantes, les candidats au départ affluent. Ils veulent rejoindre Jérémie, à la pointe sud d'Haïti, une ville décrite comme un pays de Cocagne. Assise sur des baluchons, Villebona Onais attend depuis trois jours la navette. Mais les places sont rares et le coût du diesel a fait flamber les prix. Trop cher pour Villebona. «Je n'ai plus de réserves de nourriture, mais j'espère encore». Comme beaucoup, elle attend de pouvoir monter sur l'un des cargos qui partent vers Jérémie.

Des autobus gratuits

Selon l'ONU, 235.000 personnes ont déjà fui Port-au-Prince. Le gouvernement encourage l'exode en mettant à la disposition de la population des autobus gratuits. La réouverture, samedi, des banques et des sociétés de transfert d'argent devrait accélérer le mouvement. Devant chaque agence, surveillée par des hommes armés, de longues files se sont immédiatement formées. Smith espère vider son compte alors qu'Anastasia compte sur un mandat envoyé par sa famille installée en France pour se renflouer un peu. «À quoi bon partir si l'on n'a pas d'argent ?», lance Smith.

L'ONU estime, qu'à terme, un million d'habitants pourraient quitter Port-au-Prince. «Ce drame pourrait permettre de repeupler les provinces», espère ­Edmond Mulet, représentant du secrétaire général des Nations unies en Haïti.

Le marché de Saint-Marc, avec ses rues envahies de passants, ses étals remplis de marchandises et ses commer­çantes renfrognées paraît étonnamment normal. La ville (100 000 habitants) n'a subi aucun dégât. Sur la Grand-Place, de nouveaux commerçants sont apparus. Ils vendent des matelas et des tôles aux réfugiés. Le maire de la ville, Baunars Charles, tente de gérer ce qui peut l'être. L'hôpital Saint-Nicolas regorge de blessés. «La situation est très difficile, explique-t-il. Nous accueillons déjà 10 000 réfugiés. Chaque famille ici abrite au moins un habitant de Port-au-Prince». L'afflux de réfugiés a provoqué une flambée des prix des denrées de pre­mière nécessité. Dans les villages alentours, encore plus pauvres que Saint-Marc, les nouveaux venus menacent un équilibre déjà très précaire. «Cela se passera bien si nous recevons de l'aide», assure Baunars Charles. Les policiers de l'ONU présents sur place n'ont remarqué aucun incident jusqu'ici. «Mais il y a de plus en plus de monde», confirme un officier français.

Dieu et l'Amérique

Pour parer à d'éventuelles émeutes, l'ONU a stocké, samedi, 1 200 tonnes de vivres à Saint-Marc. À l'école de Jeu­nesse missionnaire, un vieux bâtiment lépreux, une ONG américaine tente de recenser les réfugiés. Trois mille ont déjà été enregistrés, indique Wayne, le responsable de Youth with Mission.

Juno Fergilus souffle un peu. Il a quitté précipitamment Port-au-Prince il y a dix jours. Depuis, il n'a presque rien mangé et il a peu dormi. Maintenant, dit-il, «je peux enfin réfléchir». Juno, qui a perdu deux enfants et tout le stock de sa quincaillerie espère pouvoir remonter un commerce à Saint-Marc. Pour «survivre», lui et les quatre petits qui lui restent. «Je pourrai aussi aider des amis pauvres qui sont restés à Port-au-Prince», espère-t-il.

Dans le centre de la capitale, le parc du Champ-de-Mars ne désemplit pas. Les habitants des bidonvilles rasés par le séisme s'y entassent. Faute d'argent, d'amis ou de famille en province, la fuite pour eux demeure un rêve inaccessible. «Je n'ai pas de pays. Je ne sais pas où aller», désespère Lydie. Dimanche, elle est parvenue a se procurer deux bouteilles d'eau et quelques biscuits. Elle lève la tête et écoute les prêcheurs qui, dimanche, promettaient l'aide de Jésus, de Dieu et de tous ses saints.

Devant l'ambassade des États-Unis, Beausoleil Thegnité a choisi une autre issue de secours. Une cravate aux couleurs du drapeau américain, il s'est glissé dans la file des dizaines d'Haïtiens porteurs d'un visa américain. Tous attendent de partir. Beausoleil n'a pas le moindre papier. Il s'en moque. Il veut croire que le tremblement de terre lui ouvrira à lui aussi les portes de l'Amérique.


Tanguy Berthemet


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